Dans le porno, l’homme « fait la haine » à la femme

Gail Dines pornland

Dans un avant-propos, Cécilia Lépine parle, entre autres, de la pornographie audiovisuelle et d’internet, du gonzo, de la position des « libéraux » et de « révolution sexuelle », de critique de la violence sexuelle, de la violence érotisée, de représentations culturelles, « La pornographie n’est pas tant un miroir des nouvelles mœurs de la société qu’une fiction vendue comme telle aux individus », des normes de l’industrie pornographique, de l’espace public saturé de visuels, d’un monde « où les femmes sont de beaux objets sexuels que les hommes doivent consommer », d’économie, « L’industrie pornographique a l’objet économique de susciter perpétuellement ce plaisir chez les consommateurs, quel que soit le coût humain », de mythes et de la culture du viol, d’érotisme, de nu, de sexe et d’images, de traumatismes corporels et psychiques, de violence misogyne…

Dans sa préface, Robert Jensen revient sur le livre d’Andrea Dworkin Pornography : Men Posseing Women (publié en 1979 et toujours pas traduit en français) et le féminisme radical.

Le préfacier aborde, entre autres, l’idéologie libérale et la pornographie, la réponse d’Andrea Dworkin, « la pornographie n’est pas « juste du sexe », c’est le moyen d’érotiser la dynamique de domination/subordination », la domination masculine sexualisée et les tords causés aux femmes, l’industrie de la pornographie et l’idéologie sexo-libérale, la culture saturée de pornographie, le « sexe corporellement punitif », la critique féministe visant « à élargir le champ de la liberté », la justice, « l’authentique justice sexuelle, raciale et économique »…

« Le présent ouvrage renouvelle et actualise les analyses d’Andrea Dworkin, en exposant les changements qui se sont produits entre-temps ».

Dans sa préface, Gail Dines souligne à quel point « le porno s’est immiscé dans notre quotidien ». Elle parle, entre autres, d’ingénierie sociale, « nous sommes au cœur d’une expérience ingénierie sociale à grande échelle dont notre société toute entière est le laboratoire, et dont les effets sont imposés à des participants non volontaires », d’hommes d’affaires « et certainement pas d’innovateurs au service de notre liberté sexuelle », de marchandisation et d’industrialisation du désir, de gonzo, de femmes malmenées et dégradées, de sexualité pornographique « anonyme, déconnectée, dénuée d’intimité », d’industrie prédatrice, de déshumanisation, d’assaut des pornographes contre nos sexualités, de féminisme et de « magnifique, délicieuse et jouissante force créatrice baignant le corps de plaisir et de tendresse »…

En introduction, « L’industrialisation du sexe », l’autrice analyse cet autre univers, cet espace où « les humains sont réduits à des orifices et à certaines parties de leur corps », ce présent perpétuel où « les humains n’existent que pour pénétrer ou être pénétrés », le marché des pornographes, « ce qui les excite, c’est l’argent », la place des magazines comme Playboy ou Penthouse dans la masturbation de jeunes hommes hier, l’apprentissage masculin que « les femmes existaient pour être reluquées, objectivées, utilisées, puis mise de coté en attendant la prochaine fois », les images, « les images d’aujourd’hui deviennent si extrêmes que les contenus considérés comme hardcore il y a quelques années à peine sont désormais banal dans le milieu du porno »…

Gail Dines souligne les contenus du porno contemporain contenant « des abus physiques et verbaux à l’encontre des exécutantes », l’intégration des scénarios par les hommes, les représentations mentales lorsqu’ils se masturbent, les histoires de porno et les caractérisations des femmes, « elles ne veulent que ce que l’homme veut », la construction unidimensionnelle des femmes réduites à « un ensemble de trous », l’absence d’empathie ou de respect, les érections peu associés à l’excitation sexuelle. Elle questionne la socialisation masculine…

J’ai choisis d’insister sur les préfaces et introductions comme incitation à lire ce livre. Je signale que l’autrice use de justes mots rendant palpables les abus et les violences, tant verbales que physiques.

Dans les différents chapitres, Gail Dines revient sur la compétition entre les magazines Playboy, Penthouseet Hustler, le rôle des médias de masse, le mode d’emploi « pour les hommes qui aspiraient à devenir des playboys », les limites sans cesse repoussées pour le porno grand public, la sexualisation de la consommation, l’immiscion du porno dans la culture, les entreprises et les individus ayant participé à construire son acceptabilité, l’intégration de l’industrie pornographique dans les structures capitalistes et « comment d’autres industries, comme l’hôtellerie, la finance, les câblo-opérateurs en retirent d’immenses profits », le porno comme « tendance », la culture pop, les marchés du porno, « la pornographie est clairement devenue un immense secteur industriel et commercial qui s’introduit toujours plus hardiment sur les marchés nationaux et internationaux et qui exerce une influence politique et législative directe », la socialisation des hommes, les « salopes », les représentations faisant de l’homme « une créature agressive, insensible, déconnectée de ses émotions et des autres »…

Je souligne le chapitre « La préparation au gonzo. Devenir un homme dans une culture pornographique », une conception spécifique de la masculinité, la binarité hiérarchisée de genre, la culture imprégnée de violence, l’économie émotionnelle, « Le sexe est alors le moyen pour les hommes de se sentir tout puissants », la socialisation des consommateurs de porno et le matraquage de « Cette salope aime ça », les processus de déshumanisation, l’usage et la fonction de la cruauté, « la déshumanisation des femmes a souvent pour effet de masquer la violence des actes sexuels aux yeux des hommes », le réel et la comédie sous contraintes, le porno devenu ennuyeux et les évolutions pour renouveler l’excitation des hommes, les « poupées de baise aux poupées réelles »…

L’autrice analyse, entre autres, le coût physique et émotionnel du travail dans l’industrie pornographique, la place centrale du pénis, les impacts des images sur notre perception de la réalité, « comment le porno imprègne la vie des hommes », les effets de la « féminité » envoyée aux jeunes filles, les corps « sexy », l’invention d’une histoire particulière « sur le corps des femmes, la féminité et le consumérisme », les nouveaux standards culturels, l’hypersexualisation, « il s’agit d’une pseudo-libération, d’un pauvre simulacre de libération qui n’a rien à voir avec de véritables vecteurs d’émancipation », la posture anti-féministe, les nombreuses manières dont « le corps des femmes est représenté pour la consommation masculine », le développement de la chirurgie plastique, la production et le renforcement des stéréotypes racistes, la racialisation des corps et des pratiques, les places des femmes non-blanches dans le porno, la pseudo-pédopornographie (les femmes majeures apprêtées pour avoir l’air beaucoup plus jeunes), l’utilisation de signes associés à l’enfance, « des femmes infantilisées et des enfants sexualisées », la culpabilité des unes, « la culpabilité de la fille libère l’utilisateur de la sienne », la pédocriminalité…

L’autrice indique aussi le refus des hommes de discuter de leur addiction au porno, les présentations d’agressions sexuelles comme des actes consentis…

Gail Dines souligne que « le fait de se conforter à la culture pornographique est présenté comme un choix », la captivité de jeunes femmes « d’images qui racontent des mensonges sur elles », l’invention d’un soi-disant pouvoir « procurant attention et visibilité ». L’autrice fait le lien avec les processus de sexualisation du corps des femmes, la construction « avoir l’air baisable ou être invisible », la place de la consommation, l’inexistence du refus, les corps aux « proportions très inhabituels », la norme du sans poils, les « plans cul », les actes rarement qualifiés de viols. Elle rappelle que « les hommes définissent notre sexualité d’une manière qui les sert eux, et qui nous dessert nous » et y oppose « le droit de vouloir, de désirer et de jouir du sexe – mais selon leurs propres conditions »…

La conclusion est titrée « Riposter ». L’autrice indique que la pornographie est « presque devenue invisible en raison de son omniprésence », que nous sommes entouré·es d’« images qui dégradent et avilissent les femmes ». Elle souligne : « Une sexualité fondée sur l’égalité exige en fin de compte que la société repose sur l’égalité. Si nous nous battons pour trouver une façon de définir notre propre sexualité, nous ne devons pas perdre de vue le tableau d’ensemble : les femmes font toujours face à des discriminations économiques, politiques et juridiques ». Les femmes sont des êtres humains à part entière…

« La seule solution, c’est un mouvement féroce dans sa critique de l’exploitation sexuelle et déterminé dans son combat pour ce qui nous appartient de droit »

Dans une courte postface, Tom Faar revient sur le livre et l’autrice, le féminisme radical, la pornographie et son industrie, le porno dans la « réalité virtuelle ». Il cite entre autres Andrea Dworkin : « Il n’y a bien que lorsque le corps des femmes est vendu à des fins lucratives que les gens de gauche prétendent chérir le marché libre »…

Gail Dines : Pornland

Comment le porno a envahi nos vies

Editions Libre 2020, 384 pages, 20 euros

Didier Epsztajn


Note de lecture de Yeun L-Y : Dans une société juste, il n’y a pas de place pour le porno

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/10/20/dans-une-societe-juste-il-ny-a-pas-de-place-pour-le-porno/

De l’autrice :

Pornland – comment le porno a envahi nos vies (préface)

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/12/18/gail-dines-pornland-comment-le-porno-a-envahi-nos-vies-preface/

Avec Robert Jensen : La pornographie sape la base du mouvement #MeToo

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/08/22/la-pornographie-sape-la-base-du-mouvement-metoo/

Avec Robert Jensen : Le porno est un enjeu de gauche

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2018/01/25/le-porno-est-un-enjeu-de-gauche/

Nous sommes capables d’identifier la violence, sauf quand elle est infligée aux femmes

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2019/02/06/nous-sommes-capables-didentifier-la-violence-sauf-quand-elle-est-infligee-aux-femmes/

Voici ce en quoi Hugh Hefner représente la victoire du néolibéralisme,

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2017/12/02/voici-ce-en-quoi-hugh-hefner-represente-la-victoire-du-neoliberalisme/

Il est temps de mettre à nu le mensonge de la pornographie dite « gratuite »,

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2017/08/16/il-est-temps-de-mettre-a-nu-le-mensonge-de-la-pornographie-dite-gratuite/

Oui, la pornographie est raciste,

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2017/06/24/oui-la-pornographie-est-raciste/

Avec Julia Long : Une panique morale ? Non. Nous résistons à la pornification des femmes,

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2017/06/08/une-panique-morale-non-nous-resistons-a-la-pornification-des-femmes/

En complément sur la pornographie :

« Pornographie » l’alibi de la haine, de la torture et du crime organisé

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/12/22/pornographie-lalibi-de-la-haine-de-la-torture-et-du-crime-organise/

Sonia Ees : Analyses de gauche du porno

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/11/26/analyses-de-gauche-du-porno/

Julie Bindel : La vérité à propos de Pornhub

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/10/29/la-verite-a-propos-de-pornhub/

Robert Jensen : Les hommes, la pornographie et le féminisme radical

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/06/25/les-hommes-la-pornographie-et-le-feminisme-radical/

PORNOGRAPHIE : « on peut tout leur faire, elles sont consentantes »

Interview de Karin Bernfeld par Francine Sporenda

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2018/12/15/pornographie-on-peut-tout-leur-faire-elles-sont-consentantes/

Purple Sage : Les pro-sexes et leur pornographie qu’elles appellent « féministe »

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2017/09/25/les-pro-sexes-et-leur-pornographie-quelles-appelent-feministe/

Robert Jensen : Comment la pornographie rend les inégalités sexuellement excitantes

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2017/05/02/comment-la-pornographie-rend-les-inegalites-sexuellement-excitantes/

Meagan Tyler : Toute la pornographie est une vengeance contre les femmes

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2017/02/09/toute-la-pornographie-est-une-vengeance-contre-les-femmes/

Glòria Casas Vila : A propos des pornographes, proxénètes et prostitueurs à Barcelone

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2016/12/16/a-propos-des-pornographes-proxenetes-et-prostitueurs-a-barcelone/

Lierre Keith : Le triomphe des pornographes

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2016/09/09/le-triomphe-des-pornographes/

Meagan Tyler : Pornographie, surveillance et objectivation

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2018/02/21/pornographie-surveillance-et-objectivation/

Meagan Tyler : Le contexte l’emporte : Il n’y a rien de progressiste dans la pornographie qui met en scène des femmes « grosses »

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2017/10/12/le-contexte-lemporte-il-ny-a-rien-de-progressiste-dans-la-pornographie-qui-met-en-scene-des-femmes-grosses/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Une réflexion sur « Dans le porno, l’homme « fait la haine » à la femme »

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

En savoir plus sur Entre les lignes entre les mots

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture