Les droits ne sont jamais octroyés, ils s’obtiennent, de haute lutte, parfois au péril de sa vie

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Dans sa préface, Comme une matérialité de la culture, Geneviève Fraisse aborde les occasions de rencontre, le mouvement pour la parité, le sexisme dans la culture, les rapports rédigés par Reine Prat, « La preuve raconte les empêchements à fabriquer l’égalité », les responsabilités publiques et les productions de création, le formel de l’égalité et son nécessaire contenu, « Elle entrecroise la question des places dans le pouvoir institutionnel de la culture avec la création elle-même, transformations, imaginaires, fabrication de la représentation artistique »…

De la préfacière, je rappelle le dernier ouvrage : La suite de l’Histoire. Actrices, créatrices, le-modele-redevenu-sujet-legalite-et-la-creation/.

« Tout a été dit. Et continue de se dire et se dira aussi longtemps qu’il le faudra », En ouverture, Reine Prat parle de la litanie des chiffres attestant des inégalités entre les femmes et les hommes, des révélations des violences exercées sur des femmes parce qu’elles sont des femmes, du secteur des arts et de la culture et de la force des représentations, de ses rapports écrits en 2006 et 2009, des liens inextricables entre sexisme et racisme, de toutes les inégalités et de toutes les violences, des approches pluridimensionnelles, de non-mixité politique, des acquis qui ne sont jamais acquis…

« C’est pourquoi je décide d’écrire à nouveau. Plus libre, ma parole sera plus radicale. Je me suis en effet, sur ces questions, « radicalisée », pour rendre son sens premier à ce mot aujourd’hui confisqué : il faut prendre les choses à la racine. Il ne s’agit plus d’aménagements ni de ménagements ».

L’autrice insiste, il faut se défaire « de l’idée qu’on peut laisser du temps au temps ». Elle souligne la réalité et la puissance des « réticences et des résistances », la nécessité de la volonté politique, « C’est tout, tout de suite, qu’il nous fut exiger. 50/50, demain matin. C’est possible ». Elle fait sienne des analyses de Geneviève Fraisse, « l’émancipation n’est pas un ailleurs, un lieu d’utopie à identifier. Elle se fait plutôt dans un affrontement avec les repères conceptuels et imaginaires de l’histoire commune. Car il s’agit de dérégler la machinerie, de la dérégler pour rendre d’autres histoires possibles ».

Reine Prat termine cette ouverture : « C’est ici et maintenant que nous voulons que nos désirs s’incarnent, qu’on en finisse avec les assignations identitaires, que nos vies vaillent la peine d’être vécues, qu’on ne meure pas de l’avoir voulu, que les lois, du moins celles de notre République, soient respectées et que justice soit faite afin que plus jamais le masculin ne l’emporte sur le féminin ».

Le titre de cette note est extrait de cette ouverture.

 

Le premier chapitre s’intitule « Réécrire l’histoire, libérez la langue française ». Reine Prat discute des processus ayant écarté les femmes des cercles de pouvoir et de savoir, d’une certaine construction de langue et de l’histoire, de l’effacement des femmes, de constance de leur travail. A juste titre, elle conteste les présentations historiques du féminisme en termes de « vagues » ou de « génération ». L’autrice discute, entre autres de la réintégration de la part effacée de l’histoire, de la masculinisation de la langue en revenant sur les travaux d’Eliane Viennot, de la virulence de la réaction aux règles de l’écriture dite inclusive. Il y a aura donc des accords de proximité, des accords selon le sens, des épicènes, des metteuses en scènes, des autrices, et pourquoi pas des peintresses ou des poétesses, non pour féminiser la langue française mais simplement pour la démasculiniser.

Femme, homme. « L’égalité parfaite, ici et maintenant, n’est concevable qu’entre semblables. La différence implique automatiquement un système hiérarchique, producteur de violences autant que produit par la violence. L’équivalence dans la différence est une notion qui semble inaccessible à l’imaginaire commun ». La première fonction des catégories « est d’assigner des personnes à des spécificités qui les excluent de la catégorie des égaux/semblables ». L’autrice aborde, entre autres, la distribution sexuée des rôles et des fonctions, l’absence de unes dans les représentations ou leurs images négatives, le sexisme et le racisme au cœur du fonctionnement de nos sociétés, les inégalités, le quotidien fait « de petites vexations, d’absence d’écoute, de non considération », les gestes et les paroles, les coutumes de sociabilité, les diktats imposant ou interdisant tel ou tel vêtement, la supposé l’altérité/complémentarité entre hommes et femmes, la nécessité de connaître les inégalités pour pouvoir les corriger, les politiques institutionnelles…

Je souligne le chapitre « Dans les arts et la culture : à la scène comme à la ville », les exclu·es de l’organisation théâtrale, les relations de domination, la question de la représentation, l’intrication entre la sphère privée et la sphère publique, les chantiers ouvert dans le monde de la culture..

Reine Prat interroge ensuite « Arts de la convention : comment donc en changer ? ». Elle rappelle que dans ses rapports elle a montré « comment le monde des arts, organisé en « disciplines » est régi par des « règles », des « codes », des « normes », des « conventions » dont la pérennité est garantie par leur enseignement dans des « conservatoires » ». Elle propose d’écorner le mythe de l’artiste créateur, de ne pas en rester à la notion et au titre réducteur d’auteur, de dé-corseter le réel, d’interroger la notion de talent, de contester le poids de la reconnaissance des pairs, de rendre visibles les minorités, de refuser l’entre-soi…

Elle discute de l’impact public des arts de la représentation, des stéréotypes sexistes, du scandale autour de Roman Polanski et Césars, des carrières des actrices et des acteurs, de la surreprésentation des personnages masculins, des inquiétudes masculinistes, de l’invisibilité des normes, des comportements acceptés ou refusés suivant le sexe de la personne, des violences, « les violences s’alimentent et s’autorisent les unes les autres », du peu de crédit accordé à la parole des femmes « quand elle parvient enfin à se dire », des termes « conflit » ou « bénéfice du doute », d’inversion de la charge de la preuve, « Il ne s’agit pas de remettre en cause la présomption d’innocence de l’accusé, mais de rendre active une présomption, équivalente, de fiabilité de l’accusation », des pratiques du « prédateur/séducteur », d’Adèle Haenel, de Vanessa Springora, de #meetoo, du pouvoir parler, « Toutes et tous nous devons exercer une vigilance quotidienne, prévenir les faits, encourager les prises de parole, témoigner. L’action publique doit y pourvoir. Nous devons l’exiger ».

Il faut donc s’interroger sur ce que peuvent les institutions collectives, ce que fait la police, ce que peut la culture, « la politique est l’art de faire advenir l’impossible dans l’intervalle entre ce qui est et ce qui devrait être » (Réjane Sénac – voir : L’égalité sans condition. Osons nous imaginer et être semblables, ne-nous-liberez-pas-legalite-va-sen-charger/). Mais aussi sur le cantonnement de la culture (dans l’oubli des cultures populaires, des cultures régionales, des cultures étrangères), la réduction drastique du périmètre de la télévision publique, sur ces chefs de troupes qui n’ont jamais été des cheffes à quelque exception près (en complément possible, La Barbe : La saison théâtrale 2020/2021, theatre-au-masculin/), les écarts de rémunérations, la faible visibilité des œuvres de femmes, la tension entre « le commun et l’exception », le temps des uns, « durabilité et multiplicité des responsabilités occupées par un seul homme, importance et pérennité des moyens mis à sa disposition. Cela n’enlève rien à son talent. Mais cela nous aura privé·es durablement du talent de celles et de ceux pour qui il n’y avait pas de place », la prime donnée à « la liberté de création » et ses effets sur les processus de domination, les capacités des femmes, « Bref, l’artiste femme dérègle les représentations officielles, fait avancer l’Histoire de l’émancipation et invente, elle est bien obligée, des stratégies esthétiques » (Geneviève Fraisse), la puissance subversive des nouveaux regards…

Reine Prat rappelle que « la masculinité se construit, tout autant que la féminité », que les identités sont des constructions, que le dialogue poli ne peut obtenir ce que les luttes ont fait advenir, « les esclaves aux Amériques se sont libérés ; au Royaume-Uni, les suffragettes ont arraché le droit de vote ; le droit à l’avortement à été conquis. Il en est de même pour tous acquis, ils n’ont jamais été donnés. A nous d’inventer des modalités efficaces pour les luttes d’aujourd’hui ».

L’autrice discute de « la liberté de création » exonérée du droit commun, de la glorification dans le milieu culturel de délinquants ou de criminels, de cette « exception culturelle/sexuelle », du lien « premier et exclusif, entre création artistique et liberté », de la construction de l’égalité réelle, de la « fraternité » qu’il faudrait remplacer par la « solidarité » et compléter par la « sororité », de point de vue, « Toute écriture se démarque du réel, tout énoncé adopte un point de vue », d’oeuvre et de leur production, de privilège, « L’aveuglement à ses propres privilèges est dans la nature du privilège », des exclu·es du monde soi-disant libre de la culture, de la prise de parole ou d’action d’invisibilisé·es devenu·es par la-même visibles, des conditions pour s’entendre…

Il faut donc s’en sortir, garder en mémoires toustes les insurgé·es dans l’histoire, penser en dehors des mots des dominants, ne pas se laisser enfermer dans la notion d’« artiste », lutter pour l’effectivité des droits et contre les injustices, « C’est de cette même grande violence que témoignent aujourd’hui celles et ceux qui contestent les privilèges que réservent à quelques-uns l’autonomisation et la confiscation du champ de l’art et de la création »…

Un petit livre féministe sur les mondes de la culture et des arts, si nécessaires à nos vies et si largement confisqués par certains. Contre les violences des représentations et leurs moyens de diffusions, d’autres imaginations critiques et créatrices peuvent être et seront construites. Les femmes y contribuent et y contribueront, quoique disent les hommes.

Reine Prat : Exploser le plafond

Précis de féminisme à l’usage du monde de la culture

Editions Rue de l’échiquier, Paris 2021, 112 pages, 12 euros

Didier Epsztajn

 

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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