Démocratie, démocratie directe et référendum. Un héritage révolutionnaire (5)

Avec l’aimable autorisation de la revue Inprecor

Intro : democratie-democratie-directe-et-referendum-un-heritage-revolutionnaire-1/

  1. Révolution et invention démocratique : democratie-democratie-directe-et-referendum-un-heritage-revolutionnaire-2/

  2. Contradictions, reculs et avancées : democratie-democratie-directe-et-referendum-un-heritage-revolutionnaire-3/

  1. Une révolution mise en permanence : democratie-democratie-directe-et-referendum-un-heritage-revolutionnaire-4/

  2. La troisième révolution et l’idée du « référendum »

  1. La Constitution de 1793 et ses critiques

  1. Le vote populaire

  2. Deux représentations face à face

  3. Du succès politique aux mesures de mobilisation

  4. L’opposition des radicaux

  5.  Remise en ordre, mobilisation pour la guerre et mouvements populaires

  6.  La lente normalisation

  7.  Eux et nous

4. La troisième révolution et l’idée du « référendum »

Les membres de la Convention connaissent parfaitement l’activité multiforme des assemblées de citoyens de l’été 1792, puisqu’ils y ont été élus. En fait, ils sont confrontés à une situation inédite où le peuple agit déjà comme le Souverain, mais doivent désormais définir ce que vont être ses pouvoirs. La question est d’emblée en débat, dans des décisions encore tâtonnantes. L’idée de ce que nous appelons « référendum » apparaît immédiatement avec le projet encore vague de soumettre la future Constitution au suffrage populaire, et des mises en pratique partielles surviennent simultanément, avec des votes populaires directs pour sanctionner, fin 1792 et début 1793, la réunion à la France d’une série de territoires frontaliers qui n’en faisaient pas partie.

Il est également question d’un vote de ce genre, mais national, lorsqu’un vif débat a lieu pour savoir si le verdict à rendre sur le sort du roi sera ou non soumis au vote des assemblées primaires. Les députés hésitent, comprenant bien que cette consultation ouvrirait la voie à d’autres, mais ignorant surtout quels seraient les résultats d’une sanction populaire de la décision qu’ils vont rendre sur le sort du roi. Ils savent bien que si les monarques européens gagnent la guerre, chaque député sera tenu pour personnellement responsable de son vote et que les ennemis pendront tout simplement ceux qui auront mal voté. Mais la majorité des conventionnels refusent pourtant de renvoyer aux assemblées primaires la sanction de la décision qu’ils vont prendre.

De nos jours, on fait régulièrement voter les Français, comme spectateurs, comme téléspectateurs ou comme enfants des écoles, sur le sort à réserver au roi : tout se passe comme s’il fallait régulièrement « rejouer » ce vote populaire qui n’a jamais eu lieu, en contrepoint de celui des conventionnels, vote fondateur toujours perçu comme trop écrasant.

Le roi, condamné pour haute trahison, est exécuté le 21 janvier 1793. Par ce choix, la majorité des membres de la Convention assument leur statut de représentantsIls fondent, d’une certaine façon, la légitimité politique de la bourgeoisie française. En face de ce choix, les monarques européens ne peuvent plus transiger : la guerre prend un caractère inexpiable, qui va diviser encore plus la Convention. Celle-ci tente de reconstruire un appareil d’État et une armée largement démembrés mais continue aussi à conforter sa légitimité en multipliant les recours au vote direct des citoyens, des votes qui en fait aiguisent à leur tour les contradictions d’un régime encore très faible.

La Convention décide ainsi, en février 1793, l’amalgame des unités issues de l’ancienne armée avec celles formées des volontaires de la Garde nationale mais elle doit, pour conserver l’adhésion de ces volontaires, généraliser l’usage du vote pour l’avancement. Cette pratique de l’avancement selon un mérite reconnu par le vote des soldats, depuis les caporaux jusqu’au grade de colonel, réserve quand même un tiers des postes à l’ancienneté. Il se révélera durablement efficace mais, en réponse, les officiers supérieurs désertent massivement. Dumouriez, commandant en chef en Belgique, passe à l’ennemi dans les derniers jours d’avril 1793, avec tout son état-major, en emmenant prisonniers le ministre de la Guerre et les conventionnels qui l’accompagnaient. Les troupes, abandonnées à elles-mêmes, résistent comme elles peuvent, mais la méfiance totale envers les généraux issus de l’ancien régime s’étend désormais à toute l’armée et à tous les patriotes.

Pour renforcer ces armées, un autre décret de février 1793 a décidé la levée de 300 000 hommes, mais donne aux assemblées locales de citoyens concernés le choix de la façon de procéder à cette levée : on pourra soit tirer au sort, soit « élire » les partants. Le principe du volontariat est maintenu mais surtout parce qu’il permet de recourir de façon officieuse à la pratique du « remplacement » des partants, contre une somme d’argent. Cette levée, son recours à un mode de décision très critiquable, les injustices et les inégalités sociales qu’elle accroît entraînent des conflits ouverts dans l’Ouest. Le refus de ce mauvais procédé de recrutement est le point de départ de ce qui va devenir la révolte vendéenne, mais il a été conçu comme une vaste décision démocratique, décentralisée.

Dans le même genre, la Convention crée en mars 1793 des comités de surveillance municipaux, chargés des tâches de police. Ces organes sont formés par élection directe de douze citoyens, dont sont exclus les prêtres, les nobles et leurs agents. Ces comités formeront une autorité locale efficace mais également rivale de celle des municipalités et des gardes nationales. Toutes ces innovations démocratiques, avec leurs improvisations, témoignent des difficultés que la Convention éprouve à gouverner, car ces tâtonnements témoignent aussi de l’émergence, dans son sein, de deux courants politiques qui se cristallisent.

Ce clivage se fait au printemps 1793, non pas tant sur les termes de la future Constitution, qui avance très lentement, que sur les choix sociaux cruciaux imposés par la guerre contre tous les monarques d’Europe. Faut-il, peut-on, mobiliser directement la masse de la population, et gagner ? La Gironde ne le pense pas ; elle veut privilégier la voie diplomatique et convaincre les monarchies européennes de la folie d’une guerre totale, pour éviter des mesures sociales drastiques et leurs conséquences à long terme. La Montagne, au contraire, est prête à appuyer les revendications des sans-culottes parisiens organisés dans leurs sections et, à la campagne, à en finir définitivement avec les droits seigneuriaux pour mobiliser l’ensemble des ruraux. En mai 1793, avec les défaites en Belgique et aux frontières, avec l’extension de la guerre civile dans l’Ouest, aucun compromis n’apparaît plus possible. À nouveau mûrement préparée par une commune insurrectionnelle, avec l’appui de la Montagne, une nouvelle insurrection des sections parisiennes force, le 2 juin 1793, la Convention à exclure le noyau dirigeant des girondins et contraint au ralliement le reste des députés. La « troisième » révolution est enclenchée.

Sous la contrainte de l’insurrection, il se forme dans la Convention une nouvelle majorité, composite mais animée par la Montagne et qui domine un nouvel organe exécutif, le Comité de salut public. Pour la Constitution, il est rapidement admis que le futur régime devra combiner la représentation avec la possibilité pour les citoyens de trancher par eux-mêmesles choix majeurs ou qui les concernent directement. Preuve en est bientôt donnée avec la loi du 10 juin 1793 sur le partage des Communaux. Discutée depuis longtemps, cette loi ouvre, dans sa version finale, le droit de décider des partages par un vote local, ouvert à  tous les majeurs domiciliés, hommes et femmes. Si le partage est décidé, il sera égalitaire, avec une parcelle pour chaque habitant de la localité, propriétaire ou non, homme ou femme, majeur ou non (8). Cette loi du 10 juin est largement diffusée et commentée, d’autant que ce vote d’intérêt local est le premier à admettre explicitement une participation des femmes et que son adoption éclaire à sa façon le projet de Constitution que la Convention adopte le 24 juin 1793 et va cette fois soumettre au vote populaire.


Serge Aberdam

Publié initialement dans Inprecor659-660 janvier février 2019

Serge Aberdam est historien, spécialiste de la Révolution française.


(8) Les enjeux de ce partage dépendent évidemment de l’importance locale des communaux, et leur histoire ne s’arrêtera pas là.

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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