L’avortement, dépénalisé en Colombie (et remis en cause)

En Colombie, la Cour constitutionnelle vient d’émettre un avis favorable à l’avortement. Avec une très fragile majorité (cinq magistrats pour, quatre contre), la Cour autorise le recours à l’IVG jusqu’à la 24ème semaine de grossesse. Ainsi, après Cuba, l’Uruguay, le Porto Rico, l’Argentine, de nombreux États du Mexique, le Surinam, la Guyana et bientôt le Chili, voici le troisième pays le plus peuplé de l’Amérique latine (après le Brésil et le Mexique) adopter le droit à l’avortement.

Le verdict était attendu depuis deux ans. Dans les bureaux de la Cour constitutionnelle attendent de très nombreuses demandes sous la forme de « tutelas », un recours constitutionnel interposé par les citoyens en cas d’atteintes à leurs droits fondamentaux et perçue très souvent comme le meilleur moyen, sinon le seul, permettant de résoudre nombre de problèmes qui se posent au quotidien.

L’une de ces tutelas émanait de la plateforme féministe Causa Justa, laquelle arguait que l’état des choses actuel (avortement autorisé en trois cas de figure : s’il y a un risque vital pour la femme enceinte, s’il y a une malformation du fœtus, ou en cas de viol), n’était pas respecté. Afin d’éviter que les « barrières du système » (obstacles du système de santé, objections de conscience des médecins, etc) n’obstruent le recours à l’avortement thérapeutique, disaient ces féministes, il fallait statuer à nouveau. Et pour respecter le droit à leur autonomie, la demande allait dans le sens de dépénaliser l’avortement. Une seconde « tutela », introduite en 2020 par un juriste, allait dans le même sens.

La Cour a mis quasiment deux ans à se prononcer sur ces tutelas. Des raisons de procédure ont entraîné le report de la décision. Entre autres : la Cour avait-elle, oui ou non, le droit de se prononcer, vu qu’il existait un jugement préalable de cette même Cour sur le même sujet ? Par ailleurs, des magistrats ont été écartés (par exemple, parce que l’un avait déclaré dans un média que ce sujet était une « patate chaude »). Ces derniers jours, l’intrigue consistait à savoir comment un des neuf magistrats, croyant et conservateur, mais en voie de transformation idéologique, allait finalement se prononcer. Les journalistes ont été enquêter sur ses lectures. Il semblerait qu’il lisait un ouvrage d’Umberto Eco sur l’éthique des non croyants…

Tel était le climat dans les hautes cours en ce mois de février 2022. Enfin, après une intense campagne sur les réseaux sociaux et des manifestations de chacun des deux camps à côté du tribunal, la Cour s’est prononcée le 21 février.

Cette décision est historique. Elle va modifier la vie de centaines de milliers de femmes, qui avortent chaque année dans l’illégalité. Un certain nombre d’entre elles, particulièrement les plus pauvres et les plus éloignées des grands centres urbains, sont même dénoncées devant les autorités et traduites en justice : tous les ans il y a environ 400 plaintes contre des femmes ayant tenté d’avorter, et la plupart des plaignants appartiennent au corps médical et sanitaire. D’après la Mesa por la Vida y la Salud de las Mujeres, 25% des condamnés sont des mineures.

Cette décision de la Cour constitutionnelle s’inscrit dans une tradition de défense des droits qu’il faut expliciter : depuis la promulgation de la Constitution de 1991, la Cour a été la garante de nombreux droits, qui n’avaient aucune chance de passer au Congrès. Depuis de longues années, celui-ci est devenu, pour les Colombiens, le symbole de la corruption. Majoritairement de droite, son travail principal consiste à s’enrichir en détournant les lois dans des intérêts strictement privés. Le débat d’idées y est pratiquement inexistant. Tous les partis de droite ont des représentants des églises (hommes et femmes pasteurs évangéliques) : ceux-ci sont recherchés en raison de leur discipline au moment des élections. En raison de ce contexte, entre 2006 et aujourd’hui, aucune initiative pour avancer vers une dépénalisation de l’avortement n’a pu aboutir.

En Colombie, les principaux changements relatifs aux droits LGBT ont été obtenus par la voie de la Cour Constitutionnelle. C’est suite à des décisions des magistrats ou en utilisant les principes généraux contenus dans la Constitution, et après des recours interposés par les citoyens (à nouveau les tutelas), que de nombreux droits ont été obtenus, dont le droit relatif à l’adoption pour les couples de même sexe (2015) et le droit relatif au mariage entre personnes de même sexe (2016).

Jusqu’au 21 février 2022, les discussions relatives à l’avortement étaient surtout confinées à des discussions entre groupes de féministes, ou à des ONG qui ont produit des rapports de qualité sur les inégalités face à l’avortement. La mobilisation collective et les manifestations de rue n’ont pas été déterminantes dans la décision de la Cour, comme cela a pu être le cas en Argentine ces dernières années. Étant donné la tournure extrêmement technique des discussions au sein de la Cour, c’est l’action des juristes eux-mêmes qui a finalement joué un rôle important.

Or nous sommes à un moment clé : les élections nationales auront lieu très prochainement (13 mars : élections au Congrès et primaires pour départager les candidats à la présidentielle ; 29 mai : élection présidentielle) et les candidats ne pourront plus éluder le débat. Car dès le lendemain de la décision de la Cour, de nombreuses voix, dans la droite et l’extrême droite, s’élèvent contre elle, annoncent des demandes de nullité, parlent d’un référendum pour revenir sur la question et sortent l’arsenal médiatique (l’avis des prêtres et des curés est sollicité à tout vent, etc).

De son côté, le candidat qui est en tête dans les enquêtes pour le premier tour des présidentielles, M. Gustavo Petro, devra désormais intégrer cet élément au débat et assumer publiquement sa position. Cet ancien guérilléro et ancien maire de Bogota, à la tête d’une coalition qui regroupe beaucoup de militants de gauche, mais qui compte aussi un candidat évangéliste chrétien, évitait de rentrer dans ce terrain (par exemple, un de ses slogans était « zéro avortement »). Ce ne sera plus possible d’éluder la question, le thème de l’avortement sera au cœur de la campagne politique.

Historiquement, les Colombiens sont influencés par la longue domination des églises (catholique, et de plus en plus, évangéliste). Cependant, d’autres facteurs modifient les mentalités : les mouvements féministes et des revendications LGBT, les mobilisations pour les droits humains, pour la paix, pour l’environnement. Aujourd’hui, et c’est probablement une première sociologique, les opposants à l’avortement ne sont plus majoritaires. Globalement, il y a 40% de personnes ouvertement favorables à l’IVG, et autant d’opposantes farouches, le reste étant indécis. Il en est de même sur d’autres terrains auparavant sensibles : les Colombiens, et surtout les jeunes, se déclarent à 60% indifférents au fait que leur candidat à la présidence soit croyant (ou pas).

Il reste que les opposants à l’avortement disposent de puissants moyens financiers et symboliques, et que la croisade contre la disposition de la Cour constitutionnelle sera féroce. La défense des droits des femmes et de la laïcité de l’État colombien est un des grands enjeux du débat.

Olga L. Gonzalez

https://blogs.mediapart.fr/olga-l-gonzalez/blog/230222/l-avortement-depenalise-en-colombie-et-remis-en-cause

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Movimiento-Causa-Justa

Causa Justa lance un mouvement en faveur de l’élimination du crime d’avortement en Colombie

Plus de 45 organisations de défense des droits de l’homme, des femmes et des féministes et une soixantaine de militants, de prestataires de services de santé, d’universitaires et de centres de recherche de toute la Colombie s’unissent pour obtenir la suppression du délit d’avortement du code pénal.

CAUSA JUSTA est un mouvement qui vise à permettre aux femmes de prendre des décisions autonomes, libres et informées, fondées sur leur propre conscience morale, et à reconnaître l’avortement comme un véritable droit fondamental et non un droit partiel.

« Il s’agit d’un moment clé car le pays débat d’une demande qui vise à faire reculer un droit acquis par les femmes colombiennes, mais c’est un droit qui ne peut toujours pas être pleinement exercé, précisément parce que l’avortement est un crime, Cela signifie que de temps en temps, il y a des tentatives de la part de ceux qui sont contre les droits et l’autonomie des femmes de revenir en arrière sous le couvert du fait que l’avortement est toujours un crime », déclare Ana Cristina González Vélez, médecin, docteur en bioéthique et cofondatrice de La Mesa por la Vida y la Salud de las Mujeres (La table ronde pour la vie et la santé des femmes).

Après presque 15 ans (2006) d’application des règles proposées par la Cour constitutionnelle, on peut affirmer que le délit d’avortement constitue une barrière structurelle qui reflète la sous-évaluation de la vie des femmes, puisqu’elles doivent souvent mener à bien des grossesses et des maternités forcées.

« L’avortement en tant que droit est une question de justice sociale. Les femmes qui n’ont pas accès à une procédure sûre, à des informations complètes et précises, sont souvent les femmes les plus vulnérables sur le plan économique et social. La criminalisation touche directement les femmes des campagnes, les femmes vivant dans les zones périphériques des villes et les femmes migrantes. La question n’est pas l’avortement oui ou l’avortement non, mais l’avortement sûr ou l’avortement dangereux », affirment les membres de la Campagne pour le droit à l’avortement légal, sûr et gratuit – Colombie.

CAUSA JUSTA est le résultat de plus de 20 ans de travail et de recherche, aboutissant à 90 arguments qui résument le débat sur les raisons pour lesquelles l’avortement devrait être totalement dépénalisé et le crime supprimé du Code pénal. Aujourd’hui, en Colombie, les femmes sont confrontées à divers obstacles et sont même victimes de l’arbitraire dans l’accès à l’avortement, et tant les femmes que les travailleurs de la santé continuent d’être criminalisés et stigmatisés, ce qui augmente le risque d’avortements à risque pour les femmes les plus vulnérables.

Une stratégie globale

CAUSA JUSTA cherche à rassembler des femmes, des hommes, des professionnels de la santé, des fonctionnaires, des organisations, des réseaux de femmes, des politiciens, des médias, des leaders d’opinion, le grand public et d’autres personnes dans un dialogue nécessaire sur l’injustice du fait que les décisions des femmes continuent d’être soumises à une remise en question morale et à des accusations sociales.

Par conséquent, le mouvement réitère l’importance de l’élimination de la stigmatisation et de la décriminalisation sociale et légale de l’avortement en tant que CAUSE JUSTE.

Traduit avec http://www.DeepL.com/Translator (version gratuite)

https://despenalizaciondelaborto.org.co/lanzan-causa-justa-un-movimiento-por-la-eliminacion-del-delito-de-aborto-en-colombia/

Lanzan Causa Justa un movimiento por la eliminación del delito de aborto en Colombia

Más de 45 organizaciones sociales de derechos humanos, de mujeres, feministas y alrededor de 60 activistas, prestadoras y prestadores de servicios de salud, integrantes de la academia y centros de investigación de toda Colombia, se unen para lograr la eliminación del delito de aborto del Código Penal.

CAUSA JUSTA es un movimiento que busca que las mujeres puedan de manera libre e informada tomar decisiones autónomas basadas en su propia conciencia moral; y reconocer el aborto como un verdadero derecho fundamental y no un derecho parcial.

Este es un momento clave porque el país está debatiendo en torno a una demanda que busca retroceder en un derecho adquirido por las mujeres colombianas, pero es un derecho que aún no se puede ejercer de una manera plena, justamente porque el aborto es un delito, lo que hace que cada cierto tiempo haya intentos de quienes son contrarios a los derechos y a la autonomía de las mujeres de ir hacia atrás amparados en el hecho de que el aborto sigue siendo un delito”, manifiesta Ana Cristina González Vélez, médica, doctora en Bioética y cofundadora de La Mesa por la Vida y la Salud de las Mujeres.

Después de casi 15 años (2006) de seguir las reglas propuestas por la Corte Constitucional, se puede afirmar que el delito de aborto constituye una barrera estructural que refleja la subvaloración de la vida de las mujeres, toda vez que con frecuencia deben llevar adelante embarazos y maternidades forzadas.

El aborto como derecho es un tema de justicia social. Las mujeres que no tienen acceso a un procedimiento seguro, a información completa y verídica, suelen ser las mujeres en condiciones de mayor vulnerabilidad económica y social. La criminalización afecta directamente a las mujeres en el campo, a las que viven en las zonas periféricas de las ciudades o a las migrantes. El tema no es aborto sí o aborto no, es aborto seguro o aborto inseguro”, sostienen las integrantes de la Campaña por el Derecho al Aborto Legal, Seguro y Gratuito – Colombia.

CAUSA JUSTA surge después de más de 20 años de trabajo e investigación que dejan como resultado 90 argumentos que sintetizan la conversación sobre por qué se debe despenalizar totalmente el aborto y eliminar el delito del Código Penal. Hoy en Colombia, las mujeres enfrentan distintas barreras e incluso son víctimas de arbitrariedades para acceder a la Interrupción Voluntaria del Embarazo (IVE), y tanto ellas como el personal de salud, siguen siendo criminalizados y estigmatizados, lo que aumenta el riesgo de abortos inseguros en las mujeres más vulnerables.

El hecho de que el aborto aún exista como un delito en el Código Penal, aunque con las causales dictadas por la Corte Constitucional como excepciones, manda un mensaje muy confuso a la ciudadanía pues el aborto es a la vez un derecho fundamental y un delito, esto muestra una vocación del Estado hacia la criminalización de las mujeres por decidir sobre sus cuerpos y los grupos anti derechos aprovechan la ambigüedad para desinformar, crear y justificar más barreras de acceso a un aborto seguro para las mujeres y niñas en Colombia”, indica Catalina Ruiz Navarro, cofundadora de Viejas Verdes organización que hace parte del movimiento Causa Justa.

UNA ESTRATEGIA INTEGRAL

CAUSA JUSTA busca acercar a mujeres; hombres; profesionales de la salud; funcionarios/as; organizaciones, redes de mujeres; políticas/os; medios de comunicación; líderes de opinión; ciudadanía en general, entre otros; a un diálogo necesario sobre lo injusto que resulta el hecho de que las decisiones de las mujeres sigan estando sujetas a cuestionamientos morales y a señalamientos sociales.

Por ello, el movimiento reitera la importancia de eliminar el estigma y despenalizar social y legalmente el aborto como una CAUSA JUSTA.

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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