Nous les avons laissé se faire massacrer. Certains même ont applaudi

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« Un an environ après l’enlèvement de Samira, j’ai reçu de Douma des photos de feuilles non paginées sur lesquelles Samira avait noté des réflexions, des commentaires et des témoignages sur la vie d’assiégé dans la Ghouta orientale. Les photos avaient été prises avec un téléphone portable par Osama Nassar, membre fondateur des comités locaux de coordination et de l’équipe éditoriale de la revue de ces comités, Rising for freedom. Osama fut l’un des derniers à quitter Douma pour le Nord de la Syrie, en avril 2018 ». Dans son avant-propos, Yassin al-Haj Saleh parle du contenu des textes publiés ou non sur facebook, de la Ghouta orientale, de l’électricité coupée par le régime, de Samira et de Razan, d’une « patrie » débarrassée d’une grande partie de sa population, de massacre à l’arme chimique, de cadeau « pour le régime et les nihilistes islamiques »…

« Finalement, pour donner corps aux paroles de ma femme disparue j’ai opté pour une solution qui combine la transmission fidèle de ses notes avec un résultat fluide et lisible. Pour cela, je me suis permis des intrusions limitées, en expliquant parfois certains passages, en « traduisant » ses intentions ici ou là ».

Il parle aussi de sensibilité, d’humanisme, « Samira ramène les choses à leur simplicité : la faim, le froid, la maladie, la peur, la vie et la mort », de la Ghouta quotidiennement bombardée, de prison à ciel ouvert, de ceux qui ont couvert les crimes d’Assad, de la monstruosité de Jaysh al-Islam. « L’oubli est un allié fiable des organisations criminelles, tout aussi puissant que le désespoir ! »…

Un journal. « Le régime est un poignard planté dans le flanc du pays, et cette lame doit être retirée si l’on ne veux pas que la Syrie disparaisse ». Des mots et des phrases pour dire, la faim et la mort, le saccage sous toutes ses formes, les cheikhs et les services secrets, l’anonymisation du coupable, « Il est criminel de soutenir un criminel », les armes chimiques et les armes, « Le monde ne veut pas voir les gens tués par les armes chimiques mais il veut bien voir des corps humains s’envoler sous l’impact d’un missile ou d’un obus », les fosses communes, les projectiles d’un sniper, « C’est la victoire d’une guerre immorale et le monde regarde des membres en chair et en os voler sur les écrans », en regard du siège la prison comme « une sorte de réclusion de luxe », la mémoire, « La mémoire se met à bredouiller et remonte à la surface du présent », la prison et le siège, « La prison a ses histoires, le siège et la mort en ont d’autres », celles et ceux qui sont partis, « Ceux qui sont partis m’habitent »…

Des mots, des images, « Nous sommes sorties de prison mais la prison ne nous quitte pas », un endroit, « L’endroit est toujours le même et vous êtes présentes/absentes », la mort à chaque instant, les bombardements et ces obus qui ont mis fin aux jeux d’enfants, la faim et les soins, « Nous voulons des médicaments à prendre à jeun et pas deux heures avant de manger », les routes coupées, « Le monde a fermé ses routes, il s’est barricadé, craignant le salut de ceux qui désirent sauver leurs enfants de la mort », essayer de gagner un jour supplémentaire, la distance entre la mort et toi, « Une rue et un trottoir et tu gagnes du temps », les frontières, « Quand des pays ferment leurs frontières face à ceux qui fuient une mort certaine avec leurs enfants – mais ouvrent ces mêmes frontières aux diables de la terre » ou « Les tyrans des pays voisins ouvrent leurs frontières aux terroristes et les ferment aux familles qui fuient la mort », la honte, « Celui qui a gardé le silence face à notre mort s’en ira avec sa honte éternelle », la trahison de l’humain, le silence sur les massacres quotidiens, la violence, « La violence est une épidémie, l’infection vous contaminera si vous serrez la main d’un criminel, même si vous ne vous êtes pas embrassés », la mort seule denrée en abondance, un lieu « la Ghouta », un temps « l’immoralité internationale »…

« Samira avait pris l’habitude de documenter la vie sous état de siège à Douma et dans la Ghouta orientale avant et après le massacre chimique du 21 août 2013 ». Une page facebook du 23 juin 2013 au 3 décembre 2013. Les régions libérées punies en étant assiégées, la stupéfaction devant la capacité de destruction et la brutalité, « Nous sommes impuissants face à la complicité d’un monde immoral avec ce régime de destruction massive », la mort mêlée à l’air, « La mort s’est infiltrée avec son odeur dans l’intimité des maisons », les bombardements et les corps en lambeaux, le morcèlement des corps par les obus quotidiens, « Le monde continue de se réjouir du spectacle de l’effusion de sans et il applaudit le criminel avant de s’endormir, satisfait du nombre de victimes », l’insupportable et l’invraisemblable, la cruauté dépassant les souvenirs de prison, « la dévastation s’étend ici et là avec une cruauté qui n’a rien à voir avec nos pires cauchemars »..

Le livre se termine avec une postface, A la recherche de l’absente, de Yassin al-Haj Saleh, la femmes disparue, le réfugié, l’impunité des criminels, un pays ouvert à toutes les exactions…

Comment pouvons nous dormir tranquille ? Nous les avons laissé se faire massacrer. Certains même ont applaudi. « Souviens-toi qu’il existe des enfants qui n’ont pour s’endormir que les histoires de mort et de criminel qui a assassiné les plus beaux jours de leur vie ».

Samira al-Khalil : Journal d’une assiégée. Douma, Syrie

Journal établi à partir des notes prises en 2013 à Douma alors sous état de siège, assemblées par Yassin al-Haj Saleh

Traduit de l’arabe (Syrie) par Souad Labbize

Editions iXe, Donnemarie-Dontilly 2022, 154 pages, 16 euros

https://www.editions-ixe.fr/catalogue/journal-dune-assiegee-douma-syrie/

Didier Epsztajn


En complément de nombreux textes, https://entreleslignesentrelesmots.blog/?s=syrie

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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