La protection des hommes dans les refuges pour femmes

Je travaille à temps partiel depuis 2016 dans un refuge pour femmes sans-abri de l’État du Maine aux USA. Le refuge a été conçu à l’origine comme une alternative au plus grand refuge mixte de notre ville, où de nombreuses femmes avaient trop peur de rester. Ayant peur des viols et des agressions qui y étaient commis et de la facilité avec laquelle les maris, copains et maquereaux violents qu’elles avaient fuis pouvaient les retrouver, les femmes choisissaient plutôt de dormir dans la rue. C’est ainsi qu’un refuge distinct réservé aux femmes a été créé, afin d’offrir aux femmes vulnérables un refuge plus sûr contre la violence masculine.

Depuis que je travaille au refuge, les hommes ont toujours été les bienvenus aux côtés des femmes, à une condition : les hommes doivent nous dire qu’ils sont des femmes. Ils peuvent se désigner par des noms « féminins » ou s’habiller de vêtements « féminins », mais nous n’exigeons pas qu’ils fassent ces choses – qui sommes-nous, après tout, pour contrôler l’expression du genre de quiconque ? Tant qu’un homme prétend être une femme, nos portes lui sont ouvertes.

Certains des hommes qui séjournent au refuge semblent assez inoffensifs. Ils s’entendent avec les femmes, ils sont affables, respectueux, ils ne posent pas de problèmes majeurs et les femmes, pour la plupart, n’ont aucun problème à partager cet espace avec eux.

Mais d’autres hommes ne sont pas ce que j’appellerais inoffensifs.

Un homme zyeutait les femmes et les suivait à travers le refuge, son short constituant la preuve tangible de son intérêt, de sorte que les femmes ont cessé de porter un pyjama en dehors de la zone des lits pour éviter d’attirer son regard racoleur. Un autre homme attendait dans la salle de bain pour se retrouver seul avec une femme et lui faisait ensuite des propositions, au cas peu probable où elle se montrerait prête à lui tailler une pipe. Nous avons accueilli un homme qui dévisageait les jeunes assistantes sociales et leur faisait des œillades ; il convoquait sa cible loin du bureau sous prétexte de l’aider à accomplir une tâche inventée, puis, lorsqu’il la coinçait dans une alcôve plus privée, il l’invitait à le rencontrer à l’extérieur du refuge pour des rendez-vous galants.

Dans un autre cas, des femmes se sont plaintes qu’un homme regardait de la pornographie sur son téléphone portable et se masturbait visiblement dans la zone des lits la nuit.

À trois reprises au moins, des hommes séjournant au refuge féminin ont menacé de tuer des femmes avec des armes à feu. Une fois, un homme, enragé contre le personnel féminin qui insistait sur le respect des règles du refuge, a fait irruption dans la cuisine pendant le dîner, a attrapé un plateau de nourriture et a commencé à lancer par poignées dans la pièce des pommes de terre sautées tout en criant que nous étions toutes des « salopes » et des « connes ».

Je tiens à préciser que les femmes du foyer ne sont pas toutes des personnes uniformément charmantes, agréables ou même sympathiques. Certaines sont méchantes et mesquines, hostiles, difficiles à approcher ou à aimer. Il y a beaucoup de femmes avec lesquelles j’ai activement évité d’interagir tant elles étaient odieuses. En tant qu’êtres humains, les femmes sont susceptibles de toute la gamme des imperfections humaines et peuvent se montrer désagréables. En tant qu’êtres humains, les femmes peuvent devenir particulièrement désagréables lorsqu’elles se débattent dans des situations difficiles, comme l’absence de domicile fixe. Cependant, les femmes – aussi malheureuses qu’elles soient parfois – ne causent pas le même genre de problèmes que ceux qui résultent de la présence des hommes dans l’espace. Les femmes ne traitent pas les autres femmes de la même manière que les hommes traitent les femmes. Les femmes ne font pas aux autres femmes ce que les hommes font aux femmes.

Depuis que je travaille au refuge, aucune femme ne s’est jamais cachée dans la salle de bain pour réclamer à d’autres femmes des rapports sexuels oraux. Les femmes n’ont jamais été rendues si mal à l’aise par le regard d’une autre femme qu’elles ressentent le besoin de changer de vêtements, ou qu’elles deviennent trop anxieuses pour dormir. Ce sont les hommes qui ont fait ces choses. C’est le comportement des hommes qui a fait que les femmes ne se sentent pas en sécurité.

Lorsque des femmes signalent un harcèlement de la part d’hommes dans l’espace du refuge, ou qu’elles s’adressent au personnel pour exprimer leur malaise, la réaction habituelle de mes collègues est d’ignorer complètement ces signalements. Elles n’en rendent pas compte dans nos registres quotidiens et ne mentionnent pas l’incident à un superviseur. Elles ne confrontent pas l’homme pour lui parler de son comportement. Si, en décrivant le harcèlement qu’elle subit, une femme parle de l’homme comme un homme, ou l’appelle « il » plutôt que « elle », mes collègues prennent le temps de la corriger longuement en lui expliquant qu’elle se trompe et que cet homme est une femme. Mes collègues sont moins enclines à prendre le temps d’enquêter sur les dires de cette femme : elle risque plus d’être réprimandée pour « transphobie », si elle a la brutalité de « mégenrer » son agresseur, en oubliant de fermer les yeux sur la masculinité d’un homme, en oubliant qu’un tel homme ne doit jamais être tenu responsable d’un comportement prédateur envers les femmes. Mes collègues, désireuses de faire preuve de leur politique impeccable en matière de genre, s’empressent de valider les assertions des hommes sur leur féminité. Une épaisse couche d’autosatisfaction plane autour de leur attention aux pronoms et à la gymnastique linguistique entourant le queer. Dans cet épais brouillard, il leur est apparemment impossible de voir les femmes qui se trouvent devant elles et qui demandent leur soutien.

Lorsque des femmes se sont opposées à ce qu’un homme se masturbe dans un lit voisin la nuit, un collègue de travail s’est moquée auprès de moi de ce qu’elle a appelé la pruderie de ces femmes, en s’attendant à ce que je trouve cela tout aussi absurde. Qu’il fallait être puritaine et coincée pour être contrariée par un type qui se branle sur de la pornographie à un mètre de soi ! Mon collègue n’a pas rédigé de signalement de cette plainte. Je l’ai fait, mais il n’en est rien ressorti. Plusieurs semaines plus tard, cet homme a été interdit d’accès au refuge, après avoir menacé de faire feu sur tout le monde, mais sa masturbation publique et la détresse qu’elle causait aux femmes qui essayaient de dormir dans les lits voisins n’ont jamais été abordées.

Plus récemment, une femme m’a dit qu’elle savait que le personnel ne ferait jamais rien contre l’homme qui la traquait dans le refuge, qui la surveillait, qui se tenait debout près de son lit en la surveillant constamment. Parfois, cet homme porte une perruque. Il demande qu’on l’appelle par un nom féminin. La femme qu’il harcèle est une victime d’inceste qui souffre d’un grave syndrome de stress post-traumatique dû à des années d’agressions. Cette femme m’a dit qu’en raison de la priorité que nous accordons à ce qu’elle appelle « cette question du genre », le personnel refuse d’intervenir face à la situation. L’homme pouvait donc la tourmenter en toute impunité.

Cette femme m’a dit que c’était injuste, et j’en ai convenu. C’est injuste. Je lui ai dit que si l’homme commençait à la tourmenter un jour où j’étais de service, elle pourrait venir me trouver, et que je le confronterais. J’ai transcrit ses allégations dans notre journal de bord. Avec le peu d’autorité dont je disposais en tant que personnel de soutien à temps partiel, je ne pouvais pas faire grand-chose d’autre. Mais rien ne s’est passé, en termes de répercussions pour cet homme, et rien ne se passera. Il restera au refuge, et une femme victime d’hommes depuis son enfance continuera à subir du harcèlement masculin dans un espace expressément créé pour offrir aux femmes un minimum de refuge contre la violence masculine. Mes collègues continueront à lui rappeler d’utiliser les pronoms préférés de l’homme lorsqu’elle leur dira une fois de plus ce qu’il lui fait, dans l’espoir que cette fois, quelqu’un la prenne au sérieux, puisse peut-être faire cesser ce harcèlement.

Les hommes se plaignent également de la façon dont ils sont traités par les femmes, par le personnel et par le monde entier. Les hommes nous disent qu’ils ne se sentent ni acceptés ni compris par les femmes du refuge, ni par personne d’autre, où que ce soit. Le fait que tous les êtres humains vivants ne prennent pas automatiquement ces hommes pour des femmes est une injustice cruelle qui dépasse l’entendement, et les hommes en souffrent. Les hommes sont blessés. Ils sont tristes. Invariablement, mes collègues consolent ces hommes, les rassurant sur le fait qu’ils ont le droit d’être au refuge, qu’ils ne sont pas différents des autres femmes qui s’y trouvent. Mes collègues défendent les hommes – les vraies victimes, soumises à la brutalité de femmes méchantes au point de confondre l’érection dans le lit à côté d’elles avec autre chose qu’un « pénis féminin ». Mes collègues demandent aux hommes ce que le personnel peut faire pour les aider à se sentir en sécurité, à l’aise, acceptés et soutenus. Des réunions du personnel sont organisées pour discuter de la manière dont nous devrions moderniser le refuge pour en faire un endroit plus accueillant pour les hommes.

Au refuge pour femmes où je travaille, une décision politique a été prise, bien que cette politique soit tacite, et je doute que mes superviseurs ou collègues admettent son existence si on leur met la pression à ce sujet. Néanmoins, afin de se conformer aux caprices de l’idéologie du moment, d’être de bonnes féministes progressistes qui ne font pas de vagues, d’être attentionnées et sensibles, politiquement averties, c’est maintenant la politique du refuge d’accorder la priorité à la protection des illusions des hommes, même si cela signifie que nous ne pouvons plus protéger les femmes. Les femmes sont, après tout, bien habituées à faire des sacrifices pour le confort et les sentiments des hommes. Partout, tout le temps, les hommes passent en premier. Il serait donc insensé de s’attendre à ce que la situation soit différente dans un refuge pour femmes. En tant que femmes dans un monde d’hommes, nous devrions au moins savoir ceci : il n’y a de sécurité nulle part. 

Pas pour nous.

A. est écrivaine, défenderesse des victimes de viol et elle travaille dans un refuge pour femmes résidentes du Maine, aux États-Unis. Elle garde l’anonymat pour éviter de compromettre la confidentialité des femmes vivant au refuge.

Vancouver Rape Relief & Women’s Shelter – un des derniers refuges à offrir aux femmes un espace dédié, ce qui leur vaut des agressions du mouvement masculiniste.

Version originale :

https://www.feministcurrent.com/2020/09/13/protecting-men-at-the-womens-shelter/

Traduit par TRADFEM

https://tradfem.wordpress.com/2020/11/28/la-protection-des-hommes-dans-les-refuges-pour-femmes/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

2 réflexions sur « La protection des hommes dans les refuges pour femmes »

  1. « Les hommes ont toujours été les bienvenus aux côtés des femmes, à une condition : les hommes doivent nous dire qu’ils sont des femmes. »
    Totalement pervers.
    Mais aussi ahurissante et irresponsable, la mixité de tels lieux…

  2. Cela sonne comme un cauchemar surréaliste ! Mais jusqu’où ira le déni de réalité !
    Et où peuvent aller les femmes fuyant les violences masculines ?

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