Covid-19 : un virus très politique

Je vais commencer par vous raconter une histoire. Au mois d’août 1940, alors que la Luftwaffe écrasait Londres sous les bombes, les politiciens bourgeois britanniques ont eu beaucoup de réticences à ouvrir le métro pour que la population puisse s’y réfugier. Il a fallu l’intervention de la gauche – peu importe laquelle – pour qu’ils cèdent à ce besoin élémentaire. Par intervention, il faut bien entendu entendre des prises de position, mais aussi des actions directes et une mobilisation. À ce moment particulier, l’Angleterre impériale qui ne savait plus à quel saint se vouer a été contrainte de céder à la pression populaire et à demander l’« aide » de son prolétariat pour faire face aux bombes et à l’hypothèse d’une invasion nazie1.

N’ayez crainte, je ne me suis pas trompé de discussion et j’imagine que vous avez entrevu le sens de ce rappel historico-métaphorique rapporté à la crise sanitaire à laquelle nous sommes confronté·es2. C’est bel et bien de l’épidémie de coronavirus et de « nos » tâches que je voudrais dire quelques mots.

Petit rappel

Il y a quelques mois, avant que ne s’engage la bataille pour la défense des retraites, dans la lutte sur la question des urgences et des moyens de l’hôpital public, certains collectifs de défense de l’hôpital se disaient prêts à élaborer le budget de l’hôpital. Revendiquer l’élaboration du budget, c’est d’une certaine manière revendiquer le pouvoir. Quelque part, il s’agissait de revendiquer le pouvoir pour les citoyen·nes, le droit d’évaluer les besoins et d’organiser la distribution des soins et la gestion des ressources.

La crise du système de santé n’a évidemment pas disparu avec la crise sanitaire. Bien au contraire. Non parce que le gouvernement ne fait rien, mais parce que ce qu’il fait est tardif, peu cohérent, faible et peu intelligible. Une raison à cela : ce gouvernement porte (avec ses prédécesseurs) la responsabilité de la dégradation des moyens que la société aurait pu se donner pour parer à une telle éventualité – prévisible depuis des années – parce que ses décisions butent systématiquement sur le « mur de l’argent ». La crise sanitaire est liée à l’organisation capitaliste de la société et en particulier de la santé publique3.

Dans ces conditions, pouvons-nous nous ridiculiser avec ceux qui pensent que tout cela n’est qu’une diversion du pouvoir, une sorte de coup monté ? Pouvons-nous nous contenter de ricaner devant l’inconsistance et les divisions de l’Union européenne ? Pouvons-nous nous contenter de dire « Macron des sous » ? Pouvons-nous nous contenter (même si c’est juste) de demander, mesure élémentaire, la « suspension du processus législatif sur la retraite à points » ? Enfin, pouvons-nous nous en remettre en confiance aux mesures prises par les patrons et l’État ?

Quelques observations

Il y a quelques jours, à la télé, le ministre de l’économie, Bruno Lemaire, découvrait « avec stupeur » que la pénurie de masques et de gel hydro-alcoolique se traduisait par une hausse des prix. Il a fait l’étonné et les gros yeux et annoncé l’encadrement des prix. Cette pénurie et cette spéculation ne seraient donc pas le produit d’un système mais une sorte de catastrophe naturelle, un peu comme les sauterelles…

À peu près au même moment, la multinationale pharmaceutique française – Sanofi – qui fabrique en Chine le paracétamol envisageait une restructuration de la production en la rapatriant en partie. On découvre donc – y compris dans les sphères dominantes – que la mondialisation capitaliste avec son lot de délocalisations des productions de première nécessité pouvait poser quelques problèmes, pour l’essentiel d’ailleurs en termes de profitabilité.

Alors que l’épidémie se développait dans l’Oise4 et que le patient 0 avait été identifié sur la base aérienne de Creil5 après avoir participé à la mission de rapatriement sanitaire française à Wuhan, aucune mesure de confinement n’avait été prise. Pourtant, s’il y a un lieu facile à confiner et à consigner, c’est bien une caserne. Pourquoi une telle décision ?

Dans Le Monde, un virologue nous a expliqué que ses crédits de recherche sur le coronavirus avaient été transférés après 2008 sans concertation scientifique – et donc démocratique – sur un autre poste6

On pourrait multiplier les exemples de l’incurie des pouvoirs dits publics. Non pas que la réponse à la situation soit simple et univoque. Mais ce qui est clair, c’est que la gestion capitaliste et la santé publique ne font pas bon ménage et que de débat de congrès cette antinomie est désormais sur la place publique.

Que faire et que dire ?

Une telle crise sanitaire appelle, me semble-t-il, à la fois des mesures de pouvoir et une prise en charge démocratique. Le gouvernement des capitalistes, les destructeurs du service public, les technocrates et les adeptes des mesures liberticides doivent se voir opposer une autre logique. Celle du mouvement social et de la gauche qui ont construit la Sécurité sociale, l’hôpital public et la recherche publique que les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de freiner, de détourner, de démanteler ; sans oublier les alternatives qui ont été produites et expérimentées par ce même mouvement social.

Il est donc nécessaire de dire des choses concrètes qui répondent à la fois aux problèmes réels et à l’inquiétude et qui soient aussi porteuses d’alternatives. C’est précisément dans des moments comme celui que nous vivons actuellement que le mouvement social et les forces avec lesquelles il peut s’allier doivent réaffirmer leur capacité et leur disponibilité à « gérer » une telle crise autrement et mieux que le pouvoir.

Après les Gilets jaunes et le mouvement sur les retraites, la pandémie a ouvert un nouveau front de crise politique. Par parenthèse, il me semble assez peu politiquement intelligent de déclarer au président Macron qu’on « ne manquera pas à la solidarité qui s’impose », comme la gauche parlementaire a pu le faire ; c’est au mieux d’une banalité extrême et au pire la démonstration de l’absence d’une politique de gauche indépendante, alors même que la crise ouverte par la pandémie met à nu les responsabilités de la mondialisation capitaliste et l’irresponsabilité de ses fondés de pouvoir.

C’est donc le moment de sortir notre arsenal programmatique et de demander, par exemple, la réquisition des entreprises de santé, le contrôle sur les stocks et la distribution des masques7, la mise en place d’un office public du médicament, et bien entendu le rétablissement des postes de travail supprimés dans l’hôpital public8, etc. C’est aussi le moment de mettre avant des mesures d’accompagnement liées aux mesures de confinement et de prévention :

  • Prise en charge systématique des salarié·es contaminé·es en accident de travail ;

  • Indemnisation à 100% en cas de chômage partiel ;

  • Prise en charge à 100% des arrêts de travail pour la garde des enfants9;

  • Droit de retrait permettant la réorganisation des activités et l’obtention des moyens de précaution (au Musée du Louvre, notamment, l’action « de retrait » a permis que des congés soient accordés aux salariés et que du matériel de protection soit fourni) ;

  • Organisation par les intéressé·es (CHSCT/CSE, délégué·es du personnel, etc.) sur les lieux de travail des mesures barrières à prendre ;

  • Contrôle par les instances représentatives du personnel, les intersyndicales, etc. du respect des dispositions du Code du travail qui « impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la protection de la santé de son personnel ».

  • Communication indépendante par les instances représentatives du personnel sur les mesures prises, sur la situation épidémique, sur les décisions patronales et gouvernementales (par exemple, le syndicat SUD-Solidaires du nettoyage de Toulouse, encore lui, a publié à destination des équipes syndicales et des élu·es une « Note » intitulée « Épidémie, entreprise et actions syndicales ». Sur 4 pages, il est rappelé le « risque », les « mesures de protection individuelles », les « mesures de protection collectives », les dispositions en matière d’arrêt de travail et leurs limites, le « droit de retrait ». Le document rappelle également le rôle des élu·es du CSE-CHSCT, les modalités du déclenchement du « droit d’alerte », le rôle du CSE dans la « planification des congés », et les actions possibles en matière de prises de mesures collectives. Sans oublier, bien entendu, la défense du droit de circulation syndicale sur les chantiers);

  • Sans oublier de poser la question du sort des salarié·es et des entreprises qui vont mettre la clé sous la porte à l’issue de l’épidémie.

Il y a, c’est évident, beaucoup d’autres mesures à mettre en œuvre et à revendiquer. Ce n’est pas le lieu de les détailler ici et d’autres le feront plus adéquatement.

La question qui nous est posée est donc la suivante : « Devons-nous – pour paraphraser une citation10 –, nous adapter passivement à la fortune des décisions des États » ?

La réponse devrait être « Non, bien sûr ». Nous devrions donc agir en marchant sur deux pieds :

1) Répondre au mieux à la crise sanitaire en mobilisant les savoir-faire et les capacités d’initiatives ;

2) Transformer la crise sanitaire, sociale, économique, politique et institutionnelle en faisant la démonstration que la santé publique est une question trop importante pour être laissée aux mains des néolibéraux.

Je terminerai par une nouvelle référence militaire : à propos de la crise économique et de la tempête déclenchée par le Covid-19, on cite volontiers le général états-unien Douglas MacArthur qui déclarait : « Les batailles perdues se résument en deux mots : trop tard ! ». Il ne s’agit évidemment nullement ici de catastrophisme, mais de redire qu’il est plus que temps que nous disions à la société que ses affaires ne peuvent être bien traitées que par elle-même. Pour cela, il nous faut articuler engagement direct dans la bataille sanitaire, alternatives, contrôle et autogestion. La crise sanitaire (sans parler des autres) nous fournit, si je puis dire, l’occasion de faire une critique pratique du pouvoir capitaliste.

Patrick Silberstein, 11 mars 2020


1 Voir notamment Peter Tatchell, Democratic Defense, Londres, Prowler, 1985 ; traduction partielle : « L’armée des hommes libres », www.syllepse.net/la-bibliotheque-de-nos-memoires-_r_15.html

Peter Tatchell.

2 Voir Daniel Tanuro, « Huit thèses sur le Covid-19 ».

3 Est-il besoin de rappeler Seveso, l’amiante, la « vache folle », le diesel, AZF, Médiator, Lubrizol et bien d’autres «accidents» industriels ?

4 À 60 km de Paris et alors que des dizaines de trains font l’aller et retour chaque jour.

5 2500 personnes dont 800 employé·es civil·es.

6 Extrait d’un post de Bruno Canard, directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille : « Comment anticiper le comportement d’un virus que l’on ne connaît pas ? Eh bien, simplement en étudiant l’ensemble des virus connus pour disposer de connaissances transposables aux nouveaux virus, notamment sur leur mode de réplication. Cette recherche est incertaine, les résultats non planifiables, et elle prend beaucoup de temps, d’énergie, de patience. C’est une recherche fondamentale patiemment validée, sur des programmes de long terme, qui peuvent éventuellement avoir des débouchés thérapeutiques. Elle est aussi indépendante : c’est le meilleur vaccin contre un scandale Mediator-bis. […] Mais, en recherche virale, en Europe comme en France, la tendance est plutôt à mettre le paquet en cas d’épidémie et, ensuite, on oublie. […] L’Europe s’est désengagée de ces grands projets d’anticipation […] Désormais, quand un virus émerge, on demande aux chercheur·ses de se mobiliser en urgence et de trouver une solution pour le lendemain. […] La science ne marche pas dans l’urgence et la réponse immédiate. Avec mon équipe, nous avons continué à travailler sur les coronavirus, mais avec des financements maigres et dans des conditions de travail que l’on a vu peu à peu se dégrader. »

7 Il est affligeant de noter que c’est le Rassemblement national qui a fait cette proposition…

8 On voit clairement en Italie le résultat des restrictions budgétaires sur les capacités des hôpitaux publics à faire face à une telle situation. On pourrait aussi, évidemment, s’interroger sur ce que sera la « contribution » du secteur hospitalier privé à l’effort de « solidarité nationale ».

9 « Les employeurs ont la possibilité de déplacer 14 jours des congés déjà posés pour faire exécuter une période d’isolement. Logiquement l’entreprise devrait prendre en charge ces congés forcés, mais le MEDEF a demandé au gouvernement de ne rien payer. Le but des patrons va être de faire payer les salariés (sur leurs congés) ou la sécu » (SUD-Solidaires du nettoyage de Toulouse).

10 Celles et ceux qui trouvent l’auteur de la véritable citation auront le droit à une poignée de coude…

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

12 réflexions sur « Covid-19 : un virus très politique »

  1. 230 000 décès consécutifs au covid19 aux Etats-Unis (population totale : 330 M. d’hab.) : c’est un désastre sanitaire
    40 000 décès consécutifs au covid19 en France (population totale : 67 M. d’hab.) et des hôpitaux débordés : c’est normal et inévitable.
    Les Français, dit-on, ne seraient pas très bons en calcul mental… c’est possible mais à ce point-là ce serait inquiétant !
    Mais ce n’est qu’un aspect (pas le + important) de la crise sans précédent depuis des décennies que traverse actuellement notre pays, la France : s’annoncent déjà le désastre économique ainsi que le désastre social autrement plus meurtriers ! C’est normal et inévitable nous dit-on partout. Alors vive la bétonisation de l’information et du débat dans une France mise au pas ! Alors vive « La mort et son régime politique » comme l’a fort justement et récemment écrit JL Mélenchon. Alors « viva la muerte ! »

  2. THÉO ROUMIER : Coronavirus: nos solidarités pour rempart

    Alors que les morts et les malades se comptent déjà par dizaines de milliers dans le monde, le capital continue sa course mortifère et suicidaire, au mépris de nos vies. Face à la pandémie, l’État a prouvé son incurie. Nous n’avons pas besoin de pouvoir autoritaire face à la maladie. Mais de démocratie et de solidarités collectives, si.

    https://blogs.mediapart.fr/theo-roumier/blog/160320/coronavirus-nos-solidarites-pour-rempart

  3. Miguel Benasayag : « De la vie par des temps de pandémie… »

    Disons-le clairement, nous n’avons strictement aucune idée de ce que nous sommes en train de vivre. Et si une seule chose nous paraît aujourd’hui certaine, c’est que nous n’avons pas fini de compter nos morts et de constater les dégâts sanitaires, humains et économiques causés par la diffusion mondiale du coronavirus.

    Nous savons aussi qu’au bout du compte, c’est la tristesse et la misère qui nous attendent. Et comme toujours, elles toucheront plus durement les plus fragiles d’entre nous. Pour le reste, on ne sait rien. On doute, on se noie, heure après heure, dans les informations pour en arriver à la conclusion que les ministres et les puissants de ce monde n’en savent guère plus que nous.

    Et pourtant, si l’on ouvre bien grand nos yeux et nos oreilles, on sera surpris d’apprendre qu’il est possible au niveau d’un pays, et même d’un continent, de prendre des mesures radicales pour protéger les populations. Ces mêmes mesures dont on nous dit pourtant depuis une décennie qu’elles sont impossibles lorsqu’il s’agit de lutter contre le réchauffement climatique, de mettre un terme à la pollution aux pesticides ou encore d’interdire purement et simplement les perturbateurs endocriniens. Jugées nécessaires et appliquées aujourd’hui sans hésitations, ces mesures visant à renforcer nos systèmes sanitaires étaient pourtant hier encore sacrifiées au nom d’un réalisme économique qui nous prévenait catégoriquement qu’elles n’étaient pas viables. Celles et ceux qui s’opposaient à la destruction de notre structure sociale, qui appelaient une utilisation différente de nos ressources économiques, ont été trop souvent traités d’idéalistes, de populistes ou de rêveurs naïfs. Malheureusement, on constate aujourd’hui le prix que le « réalisme » nous fait payer face à une crise sanitaire majeure, face à une situation bien « réelle ». On aurait donc presque du mal à y croire. En quelques jours, les responsables politiques ont su miraculeusement trouver le volontarisme et les ressources (éthiques et financières) qui leur faisaient défaut quand il était question de réguler l’industrie automobile, d’accueillir dignement réfugiés et migrants ou de renforcer la structure sociale de nos pays.

    Voilà donc au moins ce que nous aurons appris : le fatalisme économique, la destruction de nos écosystèmes au nom de logiques industrielles, la boulimie anthropophagique des banques, les dictats du FMI (et la conséquente destruction de nos services publics), toutes ces réalités que les gauchistes œdipiens n’acceptaient pas, peuvent sauter. Certes, on tentera probablement de nous expliquer, une fois l’horreur passée, que ces mesures étaient nécessaires parce que la vie était en danger. Les plus perspicaces d’entre nous répondront alors que la chimie de synthèse, la pollution atmosphérique et l’industrie pétrolière écrasent concrètement le vivant non pas demain ou après-demain, mais depuis longtemps.

    Seulement voilà, « les plus perspicaces d’entre nous » sont loin d’être la majorité des gens. La menace du désastre écologique paraît à la plupart plus lointaine et moins immédiate. D’abord, semble-t-il, car elle ne touche pas encore directement (ou du moins, elle le fait sans que les gens s’en aperçoivent) une partie de la population mondiale qui vit dans le confort. Ensuite, car cette menace inclut un nombre considérable de variables qui restent inconnues ou obscures à la majorité des personnes qui, dans la difficulté de se les représenter, peine à se sentir concernée et agir. Au contraire, une menace comme celle de la pandémie que nous vivons actuellement apparaît comme immédiate : on peut en mourir, aujourd’hui, maintenant. Il faut se protéger, agir. La question est donc de savoir ce qui détermine le caractère d’immédiateté de la menace. S’agit-il réellement d’une propriété intrinsèque à cette pandémie, qui la différencierait, par exemple, de la menace écologique ? En regardant de près la situation, il nous semble que ce qui a contribué de manière décisive à rendre cette pandémie une menace immédiate est en bonne partie lié à l’action des gouvernements et au dispositif disciplinaire mis en œuvre. Autrement dit, ce qui l’a rendue immédiate n’est pas la mortalité du virus (caractère intrinsèque) mais plutôt l’action disciplinaire des gouvernants. Cela constitue pour nous une leçon fondamentale dont il faudra se souvenir : si tout ce que l’on perçoit n’est pas forcément aperçu (au sens de Leibniz), il est certain que pour passer d’une perception (ce dans quoi nous sommes immergés) à une aperception (une image claire à partir de laquelle et par rapport à laquelle nous pouvons agir) il faut une action. Dans ce cas particulier, il a fallu l’action coercitive des gouvernements. C’est donc l’acte de découpage et d’identification d’une menace comme immédiate qui peut nous faire passer d’une perception diffuse à une aperception claire. Pourquoi dès lors, n’arrivons-nous pas à agir de même pour les autres menaces ? Car, pour l’heure, il faut bien reconnaître qu’il existe encore qu’une minorité de gens (certes, une minorité croissante) qui aperçoit la menace immédiate du désastre écologique (beaucoup de scientifiques, des figures-symbole comme Greta Thunberg…). En revanche, ce qui n’existe pas, c’est une action des gouvernements et un mouvement de légitimation (pas forcément disciplinaire) de cette aperception d’une minorité, c’est-à-dire un acte de découpage nécessaire à l’action.

    On ne sait pas qui sera là demain et qui nous devrons pleurer. Mais on sait au moins qu’il nous faudra ne pas perdre la mémoire. Car cette pandémie n’est pas un « accident », mais un événement auquel on s’attend depuis 25 ans. Comme dans Crime et Châtiment, ceux qui ont commis et perpétuent tous les jours l’écocide savent qu’ils sont coupables, connaissent leurs crimes et attendent le « châtiment ». Ne perdons pas la mémoire, non pas seulement pour ériger des monuments, mais aussi pour se rappeler qu’il est possible de limiter la barbarie économiciste et que les (ir)responsables peuvent et doivent appliquer des plans de protection de la vie et de la culture. Ne perdons pas la mémoire, par rapport à la capacité qu’ont montrée les gouvernements, lorsqu’ils le veulent vraiment, de rendre une menace immédiate et apercevable.

    Essayons demain de ne pas faire confiance à ces (ir)responsables qui nous parleront encore de cette sacro-sainte « réalité économique ». Une fois la pandémie derrière nous, qu’on se souvienne que nous avons su et que nous avons agi en suivant notre désir de liberté, même sans posséder un savoir complet sur la situation. Sachons donc agir dans et pour une époque obscure et complexe, c’est-à-dire s’engager avec un certain degré d’incertitude, sans attendre la dernière information capable de déclencher l’action. S’il est un non-savoir structurel qui se situe au cœur de toute situation complexe, souvenons-nous que nous savions, même dans l’obscurité, qu’il est possible d’agir autrement, que la seule chose « réelle » qui existe est la non-volonté des gouvernants du monde d’agir dans une certaine direction et de manière responsable. Que notre désir de liberté, non pas d’un savoir totalisant, soit la lumière qui nous guide dans l’obscurité de la complexité.

    Collectif Malgré Tout

    Bon courage et à très bientot

  4. Investir dans la santé pour tou.te.s : « propager la solidarité, pas le virus »

    Aujourd’hui, plus que jamais, il est urgent d’agir. L’épidémie de COVID-19 nous montre l’importance d’une action coordonnée, non seulement dans nos propres systèmes de santé locaux, mais aussi au niveau national et international. Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est d’un système de santé solide et solidaire pour tou.te.s et d’une coordination qui dépasse les frontières nationales, avec une action efficace à l’échelle européenne et mondiale.

    Garantir la santé publique signifie que nous devons veiller à ce que les plus vulnérables d’entre nous puissent également avoir accès à toutes les mesures sanitaires à prendre. La répartition inégale des ressources compromet notre capacité à contrôler le virus et nous conduit à des souffrances et des décès inutiles aujourd’hui et demain.

    Cette crise n’est que la pointe de l’iceberg. Depuis plusieurs années, les systèmes de santé des États membres européens subissent de fortes attaques par le biais de la privatisation, de la commercialisation, du sous-financement et de la régionalisation, imposé par l’Union européenne à travers des mesures d’austérité en matière de dépenses de santé. Cela a affecté la capacité des systèmes de santé à coordonner des campagnes préventives à grande échelle et a limité leur capacité à développer les services curatifs dans les situations de crise tout en érodant la confiance du grand public dans le système de santé dans son ensemble.

    Pour ces raisons, le Réseau européen*, le People’s Health Movement, EPSU*, Alter Summit et Medact demandent instamment à nos décideurs politiques locaux, nationaux, européens et mondiaux d’entreprendre une action immédiate pour protéger notre santé publique.

    La crise à laquelle nous assistons aujourd’hui illustre ce pour quoi nous nous battons chaque 7 avril, Journée européenne d’action contre la commercialisation de la santé et de la protection sociale et Journée de la Santé des Peuples : un système de santé fort, solidaire et accessible à tou.te.s.

    Ce 7 avril et après, que ce soit par des actions dans la rue, dans nos hôpitaux et autres établissements de soins, à travers les réseaux sociaux ou dans la presse, nous demandons instamment à nos décideurs de prendre les mesures nécessaires pour que notre système de santé et nos travailleurs de la santé soient capables de répondre aux besoins de la population à travers un système de santé universel fort qui soit protégé des logiques lucratives et des appétits des sociétés commerciales.

    Le 7 avril, pour la cinquième année consécutive, nous organisons des actions décentralisées dans toute l’Europe à l’occasion de la Journée européenne d’action contre la commercialisation de la santé et de la Journée de la santé des citoyens dans le monde.

    Nous avons décidé d’annuler tous les rassemblements et actions avec un contact physique. Nous appelons par contre chaque citoyen.ne à manifester son soutien à notre appel « propager la solidarité, pas le virus » par une action « drap blanc » le 7 avril :

    1. Accroche ton message sur un drap blanc dans un endroit visible
    2. Prends des photos
    3. Partage-les sur les réseaux sociaux avec le hashtag #health4all et/ou #santépourtous

    Le Réseau européen contre la commercialisation et la privatisation de la santé et de la protection sociale (http://europe-health-network.net/), People’s Health Movement Europe (https://phmovement.org/), European Public Service Union (EPSU https://www.epsu.org/), Alter Summit (www.altersummit.eu), Medact

    Contact: Sarah Melsens, Coordinateur Réseau européen contre la commercialisation et la privatisation de la santé et de la protection sociale, Tél. +32499 42 44 48 – europeanhealthnetwork@gmail.com

  5. Covid-19 : Terrassons le coronavirus et la marchandisation de la santé

    Communiqué de « La santé en lutte » (collectif fondé en septembre 2019) – Belgique
    http://cadtm.org/Covid-19-Terrassons-le-coronavirus-et-la-marchandisation-de-la-sante

    Conclusion : Nous demandons :

    * Une protection plus grande de la population en arrêtant toute la production non essentielle afin de limiter réellement au maximum la propagation du virus.
    * Des garanties claires de maintien des salaires pour toutes celles et ceux qui sont amené·e·s à arrêter le travail dans ce contexte de crise.
    * Une prise en charge par l’Etat avec participation importante des grandes entreprises pour toutes celles et ceux qui auront à subir une prise en charge médicale liée au coronavirus.
    * Un arrêt immédiat de toutes mesures d’économies dans le secteur de la santé.
    * Un refinancement massif du secteur pour faire face à cette situation et à toutes situations ultérieures. L’objectif doit être des soins de qualité gratuits pour toutes et tous.
    * Des contreparties sérieuses pour tout le personnel du secteur qui sera amené à travailler dans des conditions encore plus difficiles dans les semaines et mois à venir.

  6. CORONAVIRUS ET INEGALITE SOCIALE

    Alfred Spira, médecin de santé publique pose la question des inégalités sociales de santé face au coronavirus. Sur ce sujet comme sur d’autres, ces populations sont malheureusement délaissées. Pour lui, cela devrait être pris en compte par les pouvoirs publics. Il propose un travail en lien avec les associations qui s’occupent de ces populations pour alerter et mettre en place des actions spécifiques.

    COVID-19 Coronavirus et accès à la protection et aux soins
    Face à l’épidémie de coronavirus, on ne peut être que très préoccupés par la question des inégalités sociales face aux risques liés à ce virus
    En effet, les conditions de vie, de travail, de transport, sanitaires, état de santé et fragilité des personnes pauvres, vivant en milieu difficile voire hostile, souvent porteuses de maladies chroniques et fragilisées par des soins non optimaux, une alimentation de mauvaise qualité, des consommations de substances variées, le recours obligé à des transports surchargés, l’impossibilité de ne pas aller travailler dans des environnements non protégés ou de rester à domicile, vivre dans une chambre isolée… tout ceci entraîne des risques spécifiques et accrus face à ce virus.
    Prôner le télétravail ne concerne pas les plus précaires, prendre sa température deux fois par jour, se laver les mains toutes les heures… sans parler de la possibilité de se procurer des masques ou du gel hydro-alcoolique… ça peut être très difficile, voire impossible…
    Les migrants, gens du voyage, sans logis vivant en milieu précaire et hostile, à la rue, sont dans des situations encore plus risquées… Enfin les personnes sans papiers se trouvent dans une situation particulièrement difficile à gérer du fait de leur accès toujours plus restreint au système de santé, au dépistage, au diagnostic précoce, à la prise en charge appropriée
    La question des inégalités sociales face aux risques et à la maladie a une importance particulière dans le cas de telles épidémies. Il existe une inégalité sociale face au risque de contamination et à la prise en charge. Il existe également des risques réels de stigmatisation de certains groupes sociaux. Il semble que ceci ne soit pour le moment pas pris en compte de façon complète et appropriée dans la stratégie actuelle des pouvoirs publics.
    Ceci appelle également des réflexions et initiatives particulières de la part des associations dont les activités sont rendues encore plus primordiales et compliquées, par la complexité des actions à mettre en œuvre, la nécessaire implication de leurs acteurs qui sont eux-mêmes confrontés au risque épidémique, ce qui ne va pas être sans influence sur leur disponibilité. Sur toutes ces questions, associons-nous pour dans l’urgence apporter des réponses rapidement opérationnelles.
    http://www.outilsdusoin.fr

  7. Coronavirus : le cri de colère d’un chercheur du CNRS

    Bruno Canard est directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille. Lui et son équipe travaillent depuis plus de 10 ans sur les virus à ARN (acide ribonucléique), dont font partie les coronavirus. L’homme a poussé un cri de colère sur les réseaux sociaux et média français sur les raisons potentielles d’une situation devenue ingérable, jusqu’à précipiter l’économie mondiale dans le gouffre. Selon lui, pour des motifs de budget et d’économie sans vision, la recherche fondamentale sur les coronavirus n’a pas été suffisamment soutenue. On peut même parler d’abandon. Cette incapacité à saisir l’importance d’une démarche collective d’anticipation pose question. La logique politique triomphante est au court terme et les chercheurs sont désormais invités à réagir dans l’urgence alors qu’ils manquaient de moyens jusqu’à aujourd’hui en dépit des épidémies successives de ces dernières années.

    https://mrmondialisation.org/coronavirus-le-cri-de-colere-dun-chercheur-du-cnrs/

  8. Daniel Tanuro : Pandémie — Huit thèses sur le COVID-191.
    Le fait que le ralentissement économique a précédé le Covid-19 ne doit conduire à nier ni l’impact économique de l’épidémie (interruption de productions, rupture des chaînes d’approvisionnement, impacts sectoriels sur le transport aérien et le tourisme, etc.) ni le sérieux de la menace qu’elle constitue en tant que telle. Phénomène disruptif à dynamique exponentielle, l’épidémie est un amplificateur spécifique de la crise économique et sociale. Elle est aussi un révélateur de la fragilité du système capitaliste et des dangers qu’il fait peser sur les classes populaires, notamment par son productivisme congénital basé sur les fossiles, cause fondamentale de la crise écologique et climatique.
    2. Juguler l’épidémie aurait nécessité de prendre rapidement des mesures strictes de contrôle sanitaire des voyageurs venant de régions contaminées, d’identification et d’isolement des personnes contaminées, de limitation des transports et de renforcement des services sanitaires. Englués dans les politiques néolibérales avec lesquelles ils tentaient de contrer le ralentissement économique, les gouvernements capitalistes ont tardé à les prendre, puis les ont prises insuffisamment, ce qui les a contraints à en prendre ensuite de plus sévères, sans arrêter pour autant de courir derrière la propagation du virus. Le zéro stocks, l’austérité budgétaire dans les domaines de la santé et de la recherche et la flexiprécarité du travail doivent être mis en accusation à l’occasion de la crise.
    3. Des scientifiques ont tiré la sonnette d’alarme lors de l’épidémie du coronavirus SRAS en 2002. Des programmes de recherche fondamentale ont été proposés en Europe et aux USA qui auraient permis de mieux connaître cette catégorie de virus et d’en prévenir la réapparition sous de nouvelles formes. Les gouvernements ont refusé de les financer. Une politique absurde, mais taillée sur mesure pour laisser la main sur la recherche dans ces domaines à l’industrie pharmaceutique, dont l’objectif n’est pas la santé publique mais le profit par la vente de médicaments sur le marché des malades solvables.
    4. Comme tout phénomène disruptif, l’épidémie suscite d’abord des réactions de déni. Celles-ci peuvent ensuite céder le terrain à la panique et la panique peut être instrumentalisée par des complotistes et autres démagogues pour faire le jeu de stratégies autoritaires de contrôle technologique des populations et de limitation des droits démocratiques, comme en Chine et en Russie. Il y a en plus un risque sérieux que le Covid-19 soit utilisé par les fascistes comme prétexte pour justifier et intensifier les politiques racistes de refoulement des migrant.e.s.
    5. La gauche ne peut absolument pas se contenter de rabattre le facteur exogène de la crise sanitaire sur la crise économique capitaliste endogène. Elle doit prendre en compte la crise sanitaire en tant que telle et développer des propositions pour la combattre de façon sociale, démocratique, antiraciste, féministe et internationaliste. A contre-courant de l’individualisme, elle doit aussi adopter pour elle-même et propager dans les mouvements sociaux des comportements collectifs responsables du point de vue de la non-propagation du virus. A la différence des mesures de limitation de l’usage de la voiture prises par certains gouvernements en réponse au « choc pétrolier », par exemple, nul ne peut se soustraire ici à sa responsabilité par rapport à la santé : la sienne, celle de ses proches et la santé publique, sans oublier la responsabilité par rapport aux Sud global. Ou bien les mouvements sociaux prennent cette question en mains eux-mêmes, démocratiquement et à partir des réalités sociales des dominé·e·s, ou bien les dominant·e·s imposeront leurs solutions liberticides.
    6. Le danger majeur de l’épidémie est le possible dépassement du seuil de saturation des systèmes hospitaliers. Il entraînerait inévitablement une aggravation du tribut payé par les plus pauvres et les plus faibles, en particulier parmi les personnes âgées, ainsi qu’un report des tâches de soins dans la sphère domestique, c’est-à-dire en général sur le dos des femmes. Le seuil dépend évidemment des pays, des systèmes de santé et des politiques d’austérité-précarité qui y ont été imposées. Il sera atteint d’autant plus vite que les gouvernent courent derrière l’épidémie au lieu de la prévenir. L’épidémie requiert donc clairement une rupture avec les politiques d’austérité, une redistribution des richesses, un refinancement et une dé-libéralisation du secteur de la santé, la suppression des brevets dans le domaine médical, la justice Nord-Sud et la priorité aux besoins sociaux. Celle-ci implique notamment : l’interdiction des licenciements de personnes infectées, le maintien du salaire en cas de chômage partiel, l’arrêt du contrôle, de « l’activation » et des sanctions contre les allocataires sociaux, etc. C’est principalement sur ces questions qu’il faut intervenir pour contrer les réponses irrationnelles et leur potentiel de dérapage raciste-autoritaire.
    7. Il y a de nombreux points communs entre la crise du Covid-19 et la crise climatique. Dans les deux cas, sa logique d’accumulation pour le profit rend le système capitaliste incapable d’empêcher un danger dont il est pourtant averti. Dans les deux cas, les gouvernements oscillent entre le déni et l’inadéquation de politiques conçues prioritairement en fonction des besoins du capital, pas des besoins des populations. Dans les deux cas, les plus pauvres, les racisé.e.s et les plus faibles, surtout dans les pays du sud, sont dans le collimateur, tandis que les riches se disent qu’ils s’en sortiront toujours. Dans les deux cas, les gouvernements utilisent la menace pour avancer vers un Etat fort tandis que des forces d’extrême-droite tentent de profiter de la peur pour pousser en avant d’immondes réponses malthusiennes et racistes. Dans les deux cas, enfin, la loi sociale de la valeur capitaliste entre en contradiction frontale avec des lois de la nature à dynamique exponentielle (la multiplication des infections virales dans un cas, le réchauffement et ses rétroactions positives dans l’autre).
    8. Le danger climatique est cependant infiniment plus global et plus grave que celui du virus. Il en ira évidemment de même de ses conséquences si les exploité·e·s et les opprimé·e·s ne s’unissent pas pour abattre ce mode de production absurde et criminel. Le Covid-19 est un avertissement, un de plus : il faut en finir le capitalisme, qui entraîne l’humanité vers la barbarie.
    Daniel Tanuro
    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article52343

    En Ccastillan : Ocho tesis sobre el Covid-19
    https://vientosur.info/spip.php?article15700

    En anglais : Coronavirus Pandemic: Eight theses on Covid-19
    http://www.internationalviewpoint.org/spip.php?article6452

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