Pères encensés, mères épuisées

Papa, maman : un double standard particulièrement prégnant

L’idée de cet article m’est venue alors que je lisais Voici dans la salle d’attente du dentiste sur mon canapé. En une du magazine, des photos du comédien Gad Elmaleh se promenant au parc avec son fils : « Gad Elmaleh : un papa solo qui assure ». Jusque-là, tout va bien.

Mais en lisant cet article dithyrambique, une sensation d’agacement a commencé à m’envahir. Déjà, l’expression « papa solo » est à relativiser puisque G.E n’a pas la charge exclusive de son fils, et qu’il vit en plus… à 9000 km de celui-ci. Mais la véritable question est celle-ci : est-on si en retard que nous en sommes encore à nous extasier d’un père qui emmène jouer son fils au parc ? A-t-on jamais vu un magazine people tomber en pâmoison devant une star qui emmènerait sa fille manger une glace ?

Je n’ai rien contre Gad Elmaleh, mais il est temps de dénoncer ce double standard parental qui consiste à glorifier les pères qui font une fois ce que les mères font tous les jours. 

Loue-t-on fréquemment la dévotion des mères qui préparent des purées de carotte à leur enfant ? A-t-on l’habitude de se pâmer devant une femme qui promène un landau dans la rue ? (diantre ! elle s’occupe de son enfant !Qualifie-t-on « d’héroïnes » ces femmes qui mènent tout de front à la maison, de la préparation des repas à l’aide aux devoirs, en passant par les trajets école-maison et le récurage de la salle de bains ? (alors même que leur conjoint, pourtant tout aussi responsable en théorie, sirote tranquillement son café sur le canapé) (désolée pour le cliché) (qui se vérifie souvent)

Bien sûr, ces questions sont purement rhétoriques. Dans l’inconscient collectif, l’idée que les femmes doivent se vouer à leurs enfants est une évidence, tandis qu’il n’est attendu des hommes qu’un investissement minimal.

*

Pour illustrer ce double standard, prenons un exemple simple. Imaginons un couple lambda, doté de deux charmants enfants, et mettons les en situation. Supposons que le travail de papa l’emmène en voyage professionnel pour quelques jours : personne ne s’extasiera sur le fait que sa conjointe s’occupe entièrement des mômes pendant ce temps-là. En fait, tout le monde considérera cette situation comme normale, bêtement évidente. C’est son rôle, après tout, non ?

Maintenant, inversons les rôles. Imaginons que maman parte en voyage d’affaires ou pire ! en week-end entre copines. Le pauvre papa écope de la charge des enfants, et les réactions se font tout d’un coup différentes, allant de la pitié (elle le laisse seul avec les gamins ?) à l’admiration (il a réussi à survivre à une soirée couches et coquillettes ?). À la fin, le bonhomme se fait acclamer par la foule en délire comme s’il venait de mettre au point un vaccin contre le sida.

«Si je sors une fois en la laissant à son père, c’est un père courage, et moi je suis une mère pas assez impliquée (pensez-vous : je suis sortie sans mon enfant pour aller au cinéma !)» écrit ainsi une jeune mère sur Internet…

Oui, nous en sommes encore là : une mère qui s’absente une ou deux soirées par semaine pour se consacrer à ses loisirs est un monstre en puissance, mais un père qui s’occupe de son nourrisson une fois par mois mérite une médaille. C’est qu’il est un homme, voyez-vous, et les hommes ont autre chose à faire que de torcher des fesses pleines de caca (tandis que les femmes accèdent à une forme de transcendance en manipulant de la merde, c’est bien connu).

Et de fait, ils sont nombreux, ces hommes, à s’absenter dans la semaine ou à rentrer très tard du travail, laissant leur compagne se débrouiller avec l’intendance domestique et enchaîner les « doubles journées » comme une coureuse de marathon. Une situation qui peut vite conduire à des rancœurs larvées et des conflits… puis à l’explosion.

La « faute » ne revient pas aux hommes pris dans leur individualité (même si certains profitent à n’en pas douter d’une situation dans laquelle ils sont de facto avantagés), mais à un système inégalitaire qui infériorise, dans la théorie comme dans la pratique, le féminin.

L’équation est simple à résoudre : si les femmes sont globalement moins payées, si leurs carrières sont considérées comme moins importantes, si l’option « rester à la maison » leur revient par une sorte d’automatisme alors même qu’elle n’est jamais conçue comme une possibilité pour leur conjoint, si l’éducation des enfants continue d’être vue comme une tâche naturellement « féminine », alors il n’est guère étonnant que les femmes continuent à prendre en charge les deux tiers du temps parental (un déséquilibre qui s’accroît avec le nombre d’enfants).

Avant d’être un problème individuel, c’est un problème sociétal et systémique.

Mon père, ce héros

L’existence de ce double standard se révèle particulièrement dans la sémantique : un homme qui s’occupe de ses enfants est un héros, une femme qui fait la même chose est juste… une mère. 

Et les petites phrases du quotidien en disent long sur nos représentations collectives des rôles parentaux :

« Mon mari garde les enfants ce soir » (variante : « mon mari fait du baby-sitting »)

« Je culpabilise de lui avoir laissé les enfants pour le week-end » (comme s’il s’agissait de lui refourguer un colis encombrant dont il n’avait jamais fait la commande)

« Il ne m’aide pas beaucoup à la maison » (le verbe « aider » sous-entendant qu’il revient aux femmes de se taper l’ensemble des tâches ménagères et que les hommes n’ont qu’une fonction accessoire dans l’affaire : or, un homme n’a pas à « aide », mais simplement à faire sa part, celle qui lui revient de fait)

Papa change les couches ? Cuisine des petits pots maison ? Se lève la nuit pour donner le biberon ? C’est un HÉROS.

Mais quand maman fait la même chose, point de regards attendris. Elle ne fait qu’accomplir son « devoir » : la société n’attend pas autre chose de sa part. En revanche, qu’elle faillisse à sa mission, ne serait-ce que pour un jour, et le monde entier lui tombera dessus.

Il y a tout de même quelque chose de fascinant dans ce système patriarcal qui se débrouille toujours pour retourner les choses à son avantage. Ainsi, les activités estampillées « féminines » comme la cuisine, la couture ou l’éducation des enfants sont dévalorisées quand elles sont exercées par des femmes, mais elles gagnent instantanément en prestige dès lors que des hommes s’en emparent.

(Dé)charge mentale

L’investissement des pères, même minimal, même gratifiant – j’emmène ma fille jouer au cerf-volant plutôt que de me taper la réunion parents-profs – est donc un peu comme certains mots au Scrabble : il compte triple. De fait, il reste considéré comme une singularité qu’il convient de pointer du doigt et de récompenser, alors même que l’investissement des mères est considéré comme allant de soi. 

Le problème vient du fait que nous continuons à genrer la parentalité au féminin.

Ironie de l’histoire, cependant, plus la tâche à effectuer est intéressante et/ou valorisante (partager des loisirs, régler un conflit, imposer son autorité, inculquer des savoirs …), plus nous consentons à inclure les pères.

Selon une étude de 2013 de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), les activités parentales restent une prérogative féminine : les femmes passent 2,1 fois plus de temps que les hommes à s’occuper des enfants. Mais il n’y a pas qu’une différence de durée : les activités réalisées ne sont pas non plus les mêmes.

Ainsi, les temps parentaux liés aux soins et aux déplacements sont plutôt réalisés par les femmes, tandis que les temps parentaux liés aux loisirs incombent plutôt aux hommes.

En résumé, les mères s’occupent de la logistique pénible du quotidien (prendre les rendez-vous médicaux, donner à manger, changer les couches, faire la lessive, etc) tandis que les pères écopent de la partie plus « fun » de la parentalité, à savoir les jeux, la détente et la transmission des savoirs.

Sans oublier la fameuse charge mentale, ce nuage invisible qui vient se greffer à l’intendance tangible du foyer et dont les femmes écopent en grande majorité : penser aux courses à faire, au rendez-vous à prendre, au pantalon à recoudre, au dîner à préparer, au rappel de vaccin à faire, aux cadeaux d’anniversaire à acheter, etc.

« Fallait demander », Emma ©

 

Cette division inégalitaire des tâches n’est pas le fruit d’un processus « naturel ». Ce qui est en cause, c’est un modèle culturel séculaire qui fait de la mère le parent et référent principal et du père un élément accessoire, presque décoratif. Une sorte d’arrière-plan aux lignes floues : on sait qu’il est là, on sait qu’il existe, mais son rôle reste indéfini. Plusieurs éléments sont à blâmer :

  • L’absence de représentations des pères dans les médias – ou en tout cas le manque de variété de celles-ci, le modèle « standard » restant le père occupé par sa carrière et peu impliqué dans l’éducation de ses enfants

  • Le peu d’informations disponibles sur la paternité, qu’il s’agisse de livres, de magazines, de sites Internet ou d’émissions télé

  • L’encadrement insuffisant des pères à la maternité

  • La durée ridiculement courte du congé paternité.

Mais aussi une culture et une tradition sexiste bien ancrée, qui associe les femmes à une maternité omnipotente, totale et instinctive, comme si celles-ci avaient le maniement de la couche Pampers et l’expertise en prise de rendez-vous médicaux dans le sang.

Ainsi, lorsque j’étais enfant, dans les années 90/2000, la fin de la journée d’école était nommée « l’heure des mamans ». J’ignore ce qu’il en est désormais, mais lorsque je passe devant l’école de mon quartier, les personnes qui attendent devant sont quasiment toutes… des femmes.

Cette inégale répartition de la charge parentale se traduit notamment par l’existence de nombreux forums et blogs de « mamans » et par une avalanche de magazines, livres et manuels d’éducation qui ne s’adressent pas aux parents, mais aux mères.

Comment s’étonner que les hommes se n’investissent pas dans leur rôle de père, si on omet de les inclure dans les discussions sur la parentalité ? Nous avons un effort colossal à faire pour apposer un caractère neutre à la parentalité, et redonner aux pères la place qui leur incombe. 

La soumission consentie des femmes à un destin maternel

Un problème demeure : la soumission volontaire des femmes à leur (unique) rôle de mère. Beaucoup se complaisent en effet dans cette fonction, y trouvant une identité pour laquelle elles seront socialement reconnues et valorisées.

Si les femmes sont toujours perdantes à ce jeu, et si d’ailleurs beaucoup souffrent des sacrifices qu’elles ont dû faire à la naissance de leurs enfants, il reste qu’endosser le rôle de la « mère de famille parfaite », le nez dans ses petits pots maison et sa poussette high-tech, est souvent l’option la plus facile – plus facile, en tout cas, que de revendiquer son droit à une carrière épanouissante, du temps pour soi ET une vie de famille.

La pression sociale, ce monstre aux crocs acérés, veille en effet au grain…

A l’occasion de la Fête des mères, la marque Playtex – pensant sans doute faire une bonne action – a publié sur son compte Facebook la phrase suivante : « Maman (n.f) : Femme accomplissant bénévolement les tâches de 20 personnes au quotidien »

Dans les commentaires, personne ou presque n’a relevé le fait que cette phrase en apparence innocente contribuait à banaliser l’exploitation domestique des femmes, celle-ci étant supposée, en plus, faire tendrement sourire – ah ! être une esclave, dans la joie et la bonne humeur

De manière tout à fait sournoise, ce genre de petite phrase peut en effet passer pour une valorisation émue des « qualités » dites féminines, comme l’esprit de sacrifice, la dévotion, la patience et la minutie. Qu’on ne tombe pas dans le piège : la fameuse glorification de « l’essence féminine » ne sert qu’à nous asservir un peu plus.

En effet, ces qualités ne sont pas innées : elles sont savamment inculquées, au travers d’une éducation qui prépare les femmes à leur futur rôle d’épouse et de mère. En outre, l’assignation des femmes au travail domestique ne peut fonctionner sans son corollaire, à savoir l’exclusion de ces dernières des sphères du pouvoir.

Tant que les femmes continueront à consentir avec bonne humeur à leur propre servitude, rien ne changera – les lois pourront nous aider, mais sans le changement de mentalité qui doit les accompagner, elles resteront d’un piètre secours.

Prenons conscience de ceci : romantiser ou même tourner en dérision l’exploitation domestique des femmes n’apportera jamais rien, si ce n’est toujours plus d’exploitation.

*

Plus je lis à ce sujet, plus je suis convaincue que la maternité est la principale entrave à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. La première étape est donc de changer les mentalités : la seconde, de modifier les structures existantes.

Le but étant que les hommes et les femmes s’occupent des enfants et des tâches ménagères à part égale, et que les femmes, en conséquence, ne souffrent plus d’un « malus maternité » sur leur carrière (et leur temps de loisir, et leur liberté) en mettant au monde un enfant.

C’est pour cela que nous devons militer pour une modification substantielle du congé paternité (il s’élève aujourd’hui à 11 misérables jours et n’est pas obligatoire). Las, le gouvernement paraît s’en tamponner comme de son premier conseil des ministres : Emmanuel Macron s’est récemment opposé à un projet de directive européenne prévoyant d’instaurer dans chaque pays membre un congé parental de quatre mois, dont deux non transférables d’un parent à l’autre.

En attendant, la naissance d’un enfant continue à creuser les inégalités dans les couples hétérosexuels – et par extension, entre les femmes et les hommes. Comment lutter aujourd’hui contre l’asservissement progressif des jeunes mères, elles qui se retrouvent très souvent seules à la maison pendant plusieurs semaines ou mois, tandis que leur conjoint retourne vaquer à ses occupations extérieures ? Une fois que les premières habitudes sont prises, une fois que chaque parent s’est installé dans son rôle « traditionnel » (avec le manque de temps, de sommeil, d’énergie, il est en effet plus facile d’aller vers le stéréotype), il est difficile d’impulser un changement de dynamique.

En 1981, l’écrivaine Annie Ernaux décrivait déjà dans « La femme gelée » sa condition de femme et de mère enchaînée au travail domestique.

Trente-huit ans plus tard, quels progrès avons-nous réellement fait ? 

 

Nota Bene : Évidemment, il existe aussi de nombreux de pères impliqués, qui ne se reposent pas éhontément sur leur compagne et prennent leur part de manière égale. Certains font même le choix de rester au foyer. Et pour ces hommes, un autre problème se pose : le mépris social qu’engendre leur « inactivité », et les soupçons de « démasculinité » qui pèsent sur eux, faute de correspondre au modèle archaïque de l’homme alpha qui sue toute la journée pour ramener le bifteck à la maison. Mais c’est encore un autre sujet…

Egalitaria (Caroline)


De l’autrice :

Il faut sourire pour être belleil-faut-sourire-pour-etre-belle/

Quelque chose de pourri dans la masculinitéquelque-chose-de-pourri-dans-la-masculinite/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Une réflexion sur « Pères encensés, mères épuisées »

  1. Très bonne analyse, je suis tout à fait d’accord, mais dans les cas individuels où la femme ne se résout pas entièrement au rôle de « mama » à tout faire. Chez moi c’est le gamin qui a morflé parce que l’homme quand il devait s’en occuper faisait le strict minimum. où est la solution ?

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