Mendax et gloriosus

Mendax et gloriosus, ainsi s’exprimait Plaute, le poète latin, dans sa Comédie, pour désigner un bouffon dangereux : mendax, en français, menteur ; gloriosus, toujours en français, qui cherche la gloire, vantard et fanfaron. D’un tel personnage il faut tout craindre, disait-il.

Dans la monarchie absolutiste d’Ancien Régime, celle de « L’État c’est moi », la déclaration de guerre était du ressort du bon plaisir du Roi. Nulle raison, nul prétexte n’étaient à en donner.

L’entrée dans la modernité politique, il y a près de 250 ans, en 1789, fait qu’aujourd’hui – quelque soit le régime, démocratie libérale ou dictature – pour l’autorité constituée, celle censée représenter la volonté et la souveraineté nationales, la déclaration de guerre, si elle reste le fait du prince, doit être assise sur une raison. Et de plus, il lui faut un prétexte convaincant.

La raison demeure le plus souvent cachée. Ce qui compte et doit être offert à l’opinion, c’est le prétexte.

Il y a 80 ans, le IIIe Reich hitlérien visant la reconquête des territoires perdus à la fin de la Première Guerre Mondiale, territoires devenus polonais après le Traité de Versailles de 1919, Haute Silésie, Prusse Occidentale et corridor de Dantzig, anciennement allemands, Hitler envahissait la Pologne le 1er Septembre 1939, ouvrant ainsi le chapitre de la Deuxième Guerre Mondiale. Voilà pour la raison.

1er septembre 1939. L’armée allemande franchit la frontière polonaise

Quant au prétexte, il fut construit de toutes pièces : l’attaque d’un poste frontière allemand par l’armée polonaise, En fait d’armée polonaise, des criminels allemands sortis de prison, affublés d’uniformes polonais. On les massacra sur place pour qu’ils ne puissent parler.

En Août 1964, éclatait l’affaire du Golfe du Tonkin.

Plus de six mois après l’assassinat du Président John Kennedy, peut-être avait-il été jugé secrètement inapte à une telle aventure – l’intervention militaire dans l’ancienne Indochine française, où depuis 10 ans, après la décolonisation et les accords de Genève de 1954, cohabitaient un Sud-Vietnam « pro-occidental » et un Nord-Vietnam « communiste » – en Août 1964, le Président Lyndon B. Johnson, prétextant une altercation survenue dans le Golfe du Tonkin entre des vedettes nord-vietnamiennes et un destroyer américain, ordonnait le bombardement de bases navales et d’installations pétrolières nord-vietnamiennes. Dans les jours qui suivaient, le Congrès américain adoptait à la quasi-unanimité une résolution autorisant le Président à prendre « toutes mesures nécessaires » dans le cadre d’un conflit en Asie du Sud-Est.

L’incident du Golfe du Tonkin est resté dans l’histoire comme signant l’ouverture de la Guerre du Vietnam, ses gigantesques bombardements stratégiques – les experts militaires les jugent plus importants que ceux subis par l’Allemagne nazie entre 1941 et 1945 – ses défoliations massives et ses 2 millions de morts.

50 ans plus tard, en février 2003, le Président Georges W. Bush, l’homme des néoconservateurs et du projet de Grand Siècle Américain – le contrôle direct de toutes les ressources pétrolières moyen-orientales et l’établissement de bases militaires en Asie centrale, aux frontières de la Russie et de la Chine – le président Georges Bush mettait en scène à la tribune de l’ONU, avec l’aide de son ministre Colin Powell, à titre de prétexte, une mascarade mensongère organisée autour des thèmes de l’armée irakienne, la 4° du monde, ses armes de destruction massive, bactériologiques et nucléaires.

Malgré la France de Jacques Chirac menaçant de veto toute résolution onusienne autorisant la guerre sans avoir épuisé toutes les voies d’une solution pacifique, notamment la poursuite des inspections en Irak de l’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie Atomique), malgré la France, et sans la légitimité onusienne, George Bush jetait le Moyen-Orient dans une guerre sans fin, dont les plaies sont toujours ouvertes : Daech ; djihadisme et terrorisme en Europe et en Afrique ; destruction de la Syrie ; guerre et catastrophe humanitaire au Yémen…

Aujourd’hui, dans le Détroit d’Ormuz, entre Iran et Arabie Saoudite, se noue une autre crise.

Pour faire plier l’Iran, grande puissance régionale – telle la Turquie d’Erdogan et l’Égypte d’Al-Sissi, nous nous garderons bien de la citer en exemple – pour faire plier l’Iran et réorganiser la domination américaine sur le Proche-Orient autour de ses deux piliers pro-américains, les théocraties de l’Arabie Saoudite de Ben Salman et de l’Israël de Netanyahu, comme Lyndon Johnson, 55 ans plus tôt dans le Golfe du Tonkin, Donald Trump monte en épingle des incidents navals à la responsabilité mal identifiée dans le Détroit d’Ormuz, et la destruction par un missile iranien d’un drone américain en Mer d’Oman ; dans l’espace aérien iranien, ont affirmé les militaires iraniens.

Attention ! Guerre imminente. Conventionnelle ou même nucléaire ? Auxquelles conséquences, régionales, peut-être mondiales ? 

Un espoir demeure, il est maigre, mais c’est le seul : 2019, année préélectorale de 2020, reste peu propice dans l’opinion américaine, même la plus trumpiste, à s’embarquer dans des aventures aux conséquences incalculables.

Plaute l’affirmait : de mendax et gloriosus, menteur et fanfaron, il faut tout craindre. Le masque de la Comédie et celui de la Tragédie sont quelquefois bien proches.

Nous terminerons, à l’adresse de Donald Trump, en citant Sun Tzu, le célèbre stratège chinois du VIe siècle avant J.-C. : 

« Le général court cinq dangers : téméraire, il risque d’être tué ; lâche, il est risque d’être capturé ; coléreux, il risque de se laisser emporter ; chatouilleux sur l’honneur, il risque d’être humilié ; compatissant, il risque d’être tourmenté.»

Jean Casanova, 24 juin 2019

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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