Nouvelle solidarité paysanne, agriculture biologique et équitable, droits individuels et collectifs

Daniel Hickley revient sur la période 1960 à 1996, une guerre contre les populations, en particulier contre les indigènes mayas, le racisme endémique, « la représentation de la résistance des peuples mayas qu’a l’élite du pays, une représentation fondée sur des attitudes racistes qui déshumanisent la majorité des indigènes qualifié·es d’« ennemis internes », ce qui facilitait le recours à la torture et aux massacres », les villages détruits, les dizaines de milliers de mort·es et les milliers de personnes déplacées, « Sous le couvert de ce qu’on a appelé une guerre civile, des groupes mayas ont été victimes d’un véritable génocide, surtout au cours des années 1980-1984, un génocide dirigé essentiellement par l’oligarchie au pouvoir. Le bilan : 200 000 mort·es, 100 000 déplacées, 626 villages détruits, d’innombrables viols, torture et mutilations ; 83% des victimes sont des Mayas », le complexe processus de paix, « l’application des Accords de paix ouvrent une fenêtre sur les questions universelles » (arrêt de la guerre, résolution des problèmes divisant les peuples, vie cote-à coté après des affrontements sanglants, transformation du pays, acceptation des différents modes de développement et de vie, etc.), les accords et les promesses non tenues, les héritages des années de guerre, la frénésie néocapitaliste, les coopérations communautaires, les recherches en « agriculture équitable et biologique », la population métisse (ladino.a) et les indigènes, les politiques néolibérales et des résistances. « Le Guatemala illustre clairement les conséquences de ces expérimentations néolibérales : l’ouverture des marchés aux investisseurs étrangers a nécessité des coupes draconiennes dans les services à la population, notamment dans les écoles et les hôpitaux ».

Chapitre 1. Le conflit armé

Les mouvements historiques, l’héritage social du « colonialisme espagnol et portugais ou l’impérialisme des États-Unis ». L’auteur explique avoir « voulu suivre pas à pas le déroulement des événements de cette époque et tenter de cerner le rôle de chaque facteur dans les événements tragiques de cette « guerre civile » : le gouvernement et l’armée, les élites, l’Eglise, la presse, les Etats-Unis, la communauté internationale ». Trente six ans de guerre, l’expropriation de parcelles de terre appartenant aux paysan·nes et aux indigènes, l’expansion du capitalisme sauvage, les grèves et les contestations, l’exploitation du racisme ambiant, l’élaboration d’un discours officiel simplifiant des événements complexes et justifiant « les interventions militaires destinées à rétablir l’ordre », l’armée contre la contestation politique et les revendications sociales (dont enlèvements, viols et tortures), les grèves, laLiga campesina, le Comité de Unidad Campesina (CUC) premier syndicat organisé par les Mayas, les tribunaux d’exception et l’expansion des Patrullas de Autodefensa Civil (PAC), les exécutions et les disparitions, le rôle de médias, la dissolution de syndicats, le sensationnalisme dans la présentation des actions des rebelles, une stratégie contre-insurrectionnelle qui « combine la distribution de nourriture et la création d’unités d’autodéfense qui devraient lutter contre les communautés indiennes qui soutenaient les rebelles », Rigoberta Menchu, la clandestinité puis l’exil de milliers paysan·nes mayas au Mexique, les listes noires…

Chapitre 2. Les Accords de Paix

  1. La démocratisation et l’attente de la paix par l’entremise de moyens politiques (Querétaro, Mexique, 25 juillet 1991).

  2. Les droits de l’homme (Mexico, 29 mars 1994).

  3. La réinstallation des populations déracinées par le conflit (Oslo, 17 juin 1994).

  4. La création d’une commission chargée de faire la lumière sur les violations des droits de l’homme et sur la violence ayant causé des souffrances à la population (Oslo, 23 juin 1994).

  5. L’identité et les droits des peuples indigènes (Mexico, 31 mars 1995).

  6. Les aspects socioéconomiques et la situation agraire (Mexico, 6 mai 1996).

  7. Le renforcement du pouvoir civil et le rôle des forces armées (Mexico, 19 septembre 1996).

  8. Une trêve définitive (Oslo, 4 décembre 1996).

  9. Les réformes constitutionnelles et du régime électoral (Stockholm, 7 décembre 1996).

  10. La réinsertion de l’Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque (URNG) à la vie politique du pays (Madrid, 12 décembre 1996).

  11. Le calendrier de la mise en application et la vérification des Accords de paix (Ciudad de Guatemala, 29 décembre 1996).

  12. Une paix ferme et durable (Ciudad de Guatemala, le 29 décembre 1996).

Douze accords, la reconnaissance de la prééminence de la société civile, l’assujettissement des militaires à celle-ci, les causes fondamentales de la guerre, la poursuite des affrontements, les regroupements politiques, la collaboration de l’Etat d’Israel avec l’armée guatémaltèque, le retour des populations déplacées…

Parmi les éléments présentés par l’auteur, je souligne la coalition de l’Unité révolutionnaire guatémaltèque (Unidad Revolucionaria Nacional Guatemalteca – UNRG), l’Asamblea de la Sociedad Civil, la demande d’une réforme constitutionnelle déclarant le pays « multiethnique, multiculturel et multilingue », la question de la répartition des terres et d’une véritable réforme agraire, la démilitarisation, la question de l’amnistie des rebelles, la Commission pour la clarification historique des violations des droits humains, « C’est le 29 décembre 1996 que les hommes chargés des négociations paraphent enfin « l’Accord pour une paix définitive et durable » ».

Daniel Hickley poursuit avec le retour de la violence, les assassinats, les massacres, la destruction de villages, l’ethnocide (destruction de la culture d’un peuple) et sa possible transformation en génocide en raison de la résistance de la population, « Les soldats travaillent réellement à briser la capacité des villageois·es de fonctionner en s’attaquant en priorité aux dirigeant·es et aux ancien·nes des villages »…

Chapitre 3. L ‘application des Accords de paix, le soutien international et la résistance des élites

Des accords et la question des moyens, les grands propriétaires et l’évitement fiscal, les forces armées et le refus de baisse de leur budget. L’auteur analyse l’implication internationale, la remise en cause des Accords, le référendum et les élections de 1999, « peu d’électeur·trices se prononcent, et le vote des groupes populaires est divisé, de sorte que toutes les propositions sont rejetées Le 16 mai, les 757 978 électeur·trices qui se présentent aux urnes ne représentent que 18,5% des 4 580 832 inscrit·es sur les listes électorales », les oppositions des « élites » aux concessions faites dans les Accords, « Le refus d’augmenter davantage les ponctions fiscales compromet tous les engagements sociaux du gouvernement, y compris la promesse d’une consultation populaire sur le développement rural et celle sur l’accès amélioré à la terre », les parties des Accords partiellement appliquées dont la démobilisation des Patrouilles d’autodéfense civile (PAC) et la réduction de l’armée, « Ces ex-militaires en viennent à constituer un bassin de recrutement pour les éléments du crime organisé ; d’ailleurs, plusieurs avaient déjà des liens avec ce milieu », les gangs de rue et les narcotrafiquants…

J’ai particulièrement été intéressé par les développements sur « Les Mayas tentent de prendre en main leur avenir », le mouvement d’empodermiento (oui, je peux), la remise en cause de l’histoire officielle nationale, les mouvements des femmes indigènes, la volonté de « faire émerger la mémoire des survivant·es dans l’espace public », les poursuites contre « les responsables des massacres, des tortures et des disparitions » ou des responsables de viols collectifs, « Mais avant tout, les Mayas veulent que l’Etat nomme les responsables de ces massacres et qu’il les poursuive devant les tribunaux, que les responsables soient présidents, généraux, simples soldats ou paramilitaires »…

Chapitre 4 Comment reconstruire le pays ? Les chemins du développement

Daniel Hickley discute d’éducation et du déficit de scolarisation, d’un « curriculum scolaire qui reflète le caractère multiculturel, multiethnique et multilingue de pays », de la voie libérale suivie par le gouvernement et de la place du privé, des difficultés financières, de lutte contre le racisme, de fracture entre les visions individualistes et collectivistes, de l’expropriation de territoires, des projets d’exploitation minière et pétrolière. Il analyse « La voie de la Franju transversal del norte », les réactions des populations, les actions des forces étatiques, le non respect des communautés et de leurs droits, l’absence d’étude environnementale, la contamination de l’eau, le favoritisme, la corruption, et les pots-de-vin…

J’ai particulièrement été intéressé par la partie sur les coopératives et les transformations du modèle agro-alimentaire, les nouveaux réseaux d’entraide et de distribution, la redécouverte de la culture biologique, l’amélioration de l’accès à l’eau, les combats contre l’appropriation des terres, l’abrogation de la loi dite « Monsanto », la bataille pour l’adoption d’une « loi encadrant le développement rural réformant la politique agroalimentaire du Guatemala », la création d’une école d’agriculture affiliée à la Faculté d’agronomie de l’Université de San Marcos, les discussions autour des modes de rémunération, le modèle coopératif de développement…

Epilogue

L’auteur revient, entre autres, sur les accords, la révélation des atrocités commises par les soldats et les paramilitaires, le prosélytisme des catholiques et des évangélistes, les droits collectifs, la place des municipalités, la pauvreté, le concept de multiculturalisme, la place des femmes, les projets émancipateurs…

Daniel Hickley avec la collaboration de James de Finney : Mayas du Guatemala et capitalisme sauvage, 1978-2018

Racisme, génocide et recherche d’un pays renouvelé

M éditeur, Saint-Joseph-du-Lac (Québec) 2019, 168 pages, 18 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

2 réflexions sur « Nouvelle solidarité paysanne, agriculture biologique et équitable, droits individuels et collectifs »

  1. Merci pour cette recension sur « un pays qui n’existe pas » comme disait Georges Arnaud, » je le sais j’y étais ». Un pays qui n’existe pas y compris à gauche de ce côté de l’Atlantique qui n’avait d’yeux que pour le Nicaragua et le Salvador alors que se produisaient des massacres génocidaires qui dépassaient par leur ampleur tous les crimes de masse commis en Amérique « dite » latine au cours du siècle dernier, notamment au Chili, en Argentine, en Uruguay et au Brésil qui ont bénéficié de notre solidarité active A titre d’exemple pas un article dans Imprecor depuis des dizaines d’années). Plus de 600 villages rasés, six cent Oradour sur Glane, au moins 200 000 morts pour un pays qui comptait dix millions d’habitants, plus d’un million d’exilés (principalement au Etats Unis) autant de déplacés internes qui survivent dans des conditions infra-humaines sur des coteaux instables aux lisières des villes. En définitive, le cynisme abject de François Mitterand quand il confie à voix basse  » dans ces pays là un génocide ce n’est pas très important » n’est guère différent d »une l’indifférence générale pour le Guatemala dont la gauche radicale n’est pas indemne.

    PV

    Ps. Dans le même ordre d’idée l’assourdissant silence qui entoure l’écrasement de la révolution soudanaise, un autre pays qui n’existe pas je le sais je ne suis pourtant jamais allé.

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