Les violences sexuelles, un phénomène massif et toléré socialement

« venues des profondeurs d’un silence qui a si longtemps refoulé la souffrance honteuse des corps violés ». Dans sa préface Michelle Perrot souligne : « Il faut défricher cette étrange inversion qui fait des victimes les quasi-coupables, acculées à se défendre, à dissimuler, à se taire et soupçonnées, quand elles osent parler, de vouloir attenter à la stature et à l’honneur de l’homme ». La préfacière rappelle aussi que « le viol est une affaire de pouvoir, où la jouissance de la domination l’emporte sur le désir sexuel », qu’il s’agit bien d’une forme de « contrôle disciplinaire », d’asservissement des femmes.

Affaire Harvey Weinstein, #metoo, une incroyable libération de la parole, l’importance des violences sexuelles subies par les femmes au grand jour. L’autrice a bien raison de signaler que nous ne sommes plus dans la période de DSK, du « il n’y a pas mort d’homme » et autres « troussage de domestique » (dans-cette-histoire-il-y-a-une-autre-personne-et-cest-une-femme/). Les violences sexuelles ne sont pas des événements isolés. Il y a un ensemble de mécanismes (violences, impunité des agresseurs, culpabilisation des victimes, etc.) qui forment un véritable système.

« Dans ce livre, il sera question d’analyser les mécanismes favorisant les violences sexuelles et leur tolérance dans les pays occidentaux, avec une attention particulière portée à la France ». Le viol n’est pas un crime rare et l’écrasante majorité des agresseurs n’ont pas à répondre de leurs actes.

Dans une première partie, Noémie Renard analyse quelques clichés. Les agresseurs sexuels sont principalement des hommes et les victimes principalement des femmes et des enfants (VRAI). Les viols sont surtout commis par des inconnus utilisant une arme et infligeant des blessures physiques (FAUX). Il faut une fois de plus rappeler que « très généralement les viols sont commis par des personnes connues de la victime ». Une victime de viol se débat nécessairement (FAUX). L’autrice souligne que « une majorité d’entre elles sont frappées de paralysie au moment des faits » et parle d’effet de sidération. Les viols commis par des inconnus ont des conséquences plus graves sur les victimes que ceux commis par un proche (FAUX). Elle insiste sur la rupture de confiance qu’engendrent les violences sexuelles commises par un proche. Les violences sexuelles sont surtout commises par des hommes défavorisés (FAUX). Les agresseurs appartiennent à tous les catégories sociales, à tous les milieux socio-professionnels. Les agressions sexuelles sont commises par des hommes atteints de maladie mentale (FAUX). Les comportements sociaux ne sont ni réductibles à des causes individuelles ni bien évidement médicales. Les hommes qui agressent sexuellement le font parce qu’ils sont en manque de sexe (FAUX). Ils ont majoritairement des partenaires. Le viol est dû à une pulsion incontrôlable (FAUX). Pauvres hommes qui seraient soumis à irrépressibles envies ! Et cet argumentaire fallacieux permettant de justifier des crimes. Contrairement aux fables sociales « le viol est le fruit d’une décision rationnelle, dépendant d’un rapport bénéfices/risques , c’est une acte calculé, souvent prémédité. Beaucoup de plaintes pour viols ou agressions sexuelles sont mensongères (FAUX). Comme chacun·e le sait le menteur c’est toujours l’autre. Les accusations mensongères certes existent, elles ne représentent qu’une infime minorité des plaintes. Il faut de plus souligner que la très grande majorité des viols et des agressions ne donnent pas lieu à plainte…

Les violences sexuelles sont un phénomène massif, les différentes enquêtes permettent de se faire un ordre d’idée, « on estime qu’entre 38 000 et 120 000 femmes adultes subiraient un rapport forcé ou une tentative de rapport forcé chaque année » ; aux USA, une femme sur cinq aurait subit un viol ou une tentative de viol dans sa vie ; plus d’un quart des hommes reconnaissent avoir perpétré au moins une fois dans leur vie une agression sexuelle ou une pénétration par la contrainte…

Noémie Renard aborde les conséquences des violences sur la santé des femmes, « elles entraînent des séquelles psychologiques qui peuvent persister des années après l’agression », le syndrome de stress post-traumatique, les dégradation de la santé physique, les liens avec les addictions à l’alcool ou aux autres drogues. Encore une fois, il ne s’agit donc pas d’un problème privé mais bien d’un « problème majeur de santé publique ». Violences et impunité, « seulement 2% des violeurs et agresseurs sexuels sont condamnés »

Violences massives et impunité généralisée. « une culture de viol se caractérise par des éléments plus insidieux comme les idées reçues et des attitudes concernant es actes et la sexualité, ainsi que par des inégalités sociales entre hommes et femmes et entre adultes et enfants ».

Les violences sont minimisées par la justice et la société, les crimes sont disqualifiés en agressions sexuelles, « la correctionnalisation ne peut qu’aggraver la banalisation du viol », Roman Polanski, Harvey Weinstein, Denis Baupin, Dominique Strauss-Kahn, Donald Trump… « socialement, les agresseurs n’ont pas cher à payer pour leurs actes ». Surdité dans les familles pour les actes pédocriminels, déni dans l’Eglise catholique de mêmes actes, « c’est souvent la passivité et l’inertie qui priment face aux dénonciations ».

L’autrice déconstruit les mythes autour des « vrais viols », les prégnances dans l’imaginaire collectif, la minimisation de la responsabilité du violeur, les « mensonges » des femmes, les chimères autour de la sexualité. Elle insiste sur les phénomènes d’emprise, le silence des entourages, les dynamiques de déni…  et leurs conséquences sur les processus judiciaires.

Sous estimation de la terrible violence, disponibilité sexuelle des femmes et droit d’accès des hommes à leur corps, présomption de consentement à l’activité sexuelle, suspicion permanente envers les paroles des femmes et des enfants. Noémie Renard oppose un autre droit : « Autrement dit, un tel droit s’intéresserait avant tout à la volonté et aux désirs réels des protagonistes de l’interaction sexuelle, et non pas aux moyens déployés par l’agresseur pour faire céder sa victime ».

L’autrice détaille les conséquences de l’impunité organisée, le moindre possible rétablissement des victimes, un parcours judiciaire comme « seconde victimisation ». Elle parle de manque d’empathie et de considération. Il ne faudrait cependant pas oublier les effets de cette impunité sur les violeurs puisque leurs actes ne sont pas sanctionnés, que le rapport bénéfices/risques est encore renforcé. En fait le viol n’est pas interdit, il est juste régulé comme pratique d’appropriation. (Lire, entre autres, Colette Guillaumin : Pratique du pouvoir et idée de nature – (1) L’appropriation des femmes, pratique-du-pouvoir-et-idee-de-nature-1-lappropriation-des-femmes/ et Sexe, race et pratique du pouvoir. L’idée de nature, tous-les-etres-humains-sont-naturels-mais-certains-sont-plus-naturels-que-les-autres/)

Noémie Renard analyse, dans la troisième partie « Le viol, une histoire de pouvoir et de domination », le sens politique des violences sexuelles, la domination des enfants (en complément possible, Yves Bonnardel : La Domination adulte, l’oppression des mineurs, ce-nest-quen-ayant-lambition-de-realiser-nos-reves-quon-peut-pretendre-leur-donner-une-chance/ et les incestes (lire par exemple, Jeanne Cordelier et Mélusine Vertelune : Ni silence ni pardon. L’inceste : un viol institué, a-linstant-meme-mon-enfance-a-fondu-comme-neige-au-soleil/), les états de dépendance, le lien entre pauvreté et vulnérabilité, un certain « droit de cuissage », les désirs de pouvoir, le viol « comme moyen de revendiquer un droit d’accès à un corps féminin », le contrôle disciplinaire et la restriction de circulation des femmes, la non-liberté des femmes de choisir leurs vies sexuelles…

« Le viol , c’est de la violence, de la domination, de l’humiliation, mais sous une forme sexualisée ». Quels rapports existent-ils entre hétéro-normativité et viol ? Qu’en est-il de la liberté sexuelle des femmes « face aux hommes et face à un système économique » ?. Noémie Renard rappelle que « l’hétérosexualité est perçue comme la seule forme de sexualité « naturelle » et « normale » », que cette norme est une première réduction à la liberté des femmes. Elle aborde, entre autres, les rapports non désirés, la coercition, les chantages et les manipulations, l’« obéissance sexuelle », le « devoir » miroir des supposés « besoins sexuels » des hommes, le manque de réciprocité, la pénétration vaginale conçue « comme l’alpha et l’omega de l’activité hétérosexuelle », le manque de verbalisation, « quand dire « non » devient trop difficile », la coercition économique et le manque d’autonomie, la pornographie (« La pornographie est donc l’expression d’un imaginaire collectif où la sexualité est intimement liée à la domination masculine ») et la prostitution, les négations des désirs sexuels des femmes, les croyances en l’égalité comme « anti-sexe », le continuum de violences…

Je souligne le chapitre sur « La coercition graduelle au cours des interactions sexuelles », les gestes non-anodins, les différents niveaux de contrainte, le désintérêt des hommes envers le plaisir des femmes.

Beaucoup discourent, à propos de sexualité, du consentement des femmes. Et si nous parlions du consentement des hommes à la pornographie, aux violences sexuelles, aux actes prostitueurs, aux viols ?

Il faut se donner les moyens politiques pour lutter contre la culture du viol. Cela passe, entre autres, par l’éducation à l’égalité femmes-hommes dès l’école maternelle, une éducation à la sexualité adaptée aux différents ages des jeunes, reconnaître et prévenir les situations d’agressions sexuelles, parler du plaisir de chacun·e… « Précisons que la sensibilisation et l’éducation à l’égalité femmes-hommes et aux violences faites aux femmes font partie des obligations de la Convention d’Istanbul » (https://rm.coe.int/1680084840).

Cela implique aussi une meilleure prise en charge des victimes de violences sexuelles, la formation des professionnel·les dont l’ensemble des praticien·nes médicaux et juridiques, l’amélioration des définitions légales du viol et des agressions sexuelles, de ne plus considérer « que les femmes sont a priori consentantes, mais au contraire, que ce consentement doit être exprimé par une personne en capacité de le faire », de mieux protéger les mineur·es, de rappeler qu’« user de la contrainte économique pour obtenir un rapport non désiré de la part d’autrui » est « une violence et une violation du droit à l’intégrité physique d’autrui », de proposer aux personnes prostituées de véritables alternatives, de qualifier la pornographie en regard aussi du proxénétisme, de combattre l’ensemble du système social inégalitaire.

Et immédiatement, à notre échelle, se désolidariser des agresseurs sexuels et des violeurs, « La honte doit changer de camp ».

Il n’y a ici rien relevant de la fatalité, du naturel. Un livre à lire et faire lire. Pour résister de manière consciente. Un livre pour inciter aussi les hommes à regarder en face leurs comportements, à réfléchir à leurs actions, leurs fantasmes, leur volonté de domination, leur mépris des femmes, leur refus de l’égalité et de liberté pour toustes. (En complément possible : Refuser la connivence et la léthargie masculines, refuser-la-connivence-et-la-lethargie-masculines/)

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Sommaire
Préface de Michelle Perrot
Introduction
Partie 1 : état des lieux

  • Quelques cliches a déconstruire sur les violences sexuelles
  • Que dit la loi sur les violences sexuelles ?
  • Les violences sexuelles, un phénomène massif
  • Des violences aux conséquences graves sur la santé et trop souvent impunies

Partie 2 : les mécanismes de l’impunité des violeurs

  • Des violences minimisées par la justice et la société
  • Des mythes et stéréotypes lourds de conséquences
  • L’emprise de l’agresseur et la loi du silence
  • L’impact des mythes sur le processus judiciaire
  • Les conséquences de l’impunité

Partie 3 : le viol, une histoire de pouvoir et de domination

  • Ses axes de domination
  • Un contrôle disciplinaire

Partie 4 : de l’hétérosexualité « normale » au viol

  • L’hétérosexualité pour les femmes : entre contraintes et inégalités
  • La coercition économique
  • La coercition graduelle au cours des interactions sexuelles
  • Une dualité femmes-hommes au service de la domination masculine
  • Quelle liberté sexuelle et quel consentement pour les femmes ?

Partie 5 : mettre fin à la culture du viol

  • Sensibiliser et éduquer les jeunes (et les moins jeunes)
  • Améliorer la prise en charge des victimes de violences sexuelles
  • Former les professionnels
  • Faire progresser la loi pour une meilleure condamnation des violences sexuelles
  • Se donner les moyens de lutter contre les violences sexuelles
  • Lutter contre toutes les formes d’inégalité

Le blog animé par l’autrice : https://antisexisme.net

Extrait de la partie III (Le viol, une histoire de pouvoir et de domination) : https://antisexisme.net/2018/04/22/viol-discipline/

Noémie Renard : En finir avec la culture du viol
Les Petits matins, Paris 2018, 180 pages, 12 euros

Didier Epsztajn


Violences sexuelles : « Il y a une impunité judiciaire et sociale »
https://www.liberation.fr/france/2019/11/23/violences-sexuelles-il-y-a-une-impunite-judiciaire-et-sociale_1761962

Le viol, instrument de contrôle des femmes. Interview de Noémie Renard par Francine Sporenda : le-viol-instrument-de-controle-des-femmes/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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