Bree Newsome – « Le temps est maintenant venu de faire preuve d’un courage véritable »

TÉMOIGNAGE EXCLUSIF: Bree Newsome s’exprime pour la première fois après son acte courageux de désobéissance civile.

Goldie Taylor, pour la Blue Nation Review: Le week-end dernier, une jeune combattante pour la liberté et organisatrice communautaire a posé un geste politique aussi étonnant qu’inspirant pour faire retirer le drapeau de combat de l’Armée sudiste confédérée. Brittany « Bree » Newsome, dans un acte courageux de désobéissance civile, a grimpé en haut d’un mât de métal à l’aide d’un harnais d’escalade pour retirer ce drapeau qui flottait devant le Capitole de l’État de la Caroline du Sud. Ses longs dreadlocks dansaient au vent lorsqu’elle est redescendue en citant la Bible. Elle a ignoré les ordres de policiers qui l’enjoignaient de mettre fin à sa mission et a été immédiatement arrêtée, avec son allié James Ian Tyson. Tous les deux sont originaires de Charlotte, en Caroline du Nord.

Bree Newsome a communiqué la déclaration suivante en exclusivité à la Blue Nation Review:

Le temps est maintenant venu de faire preuve d’un courage véritable. 

J’ai réalisé que le temps était venu de faire preuve d’un courage véritable le matin après que le Massacre de Charleston m’eût secouée jusqu’au tréfonds de mon être. Je ne pouvais pas dormir. Je restais assise éveillée dans le milieu de la nuit. Tous les fantômes du passé semblaient revivre.

Il n’y a pas longtemps, j’avais regardé à la télé le début du film Selma, la reconstitution de l’attentat à la bombe contre l’église Baptiste de la 16e rue, et j’avais frémi à ce rappel des horreurs de l’histoire.

Mais il ne s’agissait ni d’une scène d’un film, ni du passé. Un homme blanc venait d’entrer dans une église noire et de massacrer des gens qui priaient. Il avait assassiné une leader des droits civiques. Ce n’était ni une page dans un livre de classe que je lisais, ni une inscription sur un monument que je visitais.

C’était maintenant.

C’était réel.

Cela se passait, se passe encore.

J’ai entamé mon activité militante en participant au mouvement Moral Monday, une lutte visant à faire restaurer le droit de vote en Caroline du Nord après que la Cour suprême ait annulé des protections clés dans la Loi de 1965 sur le droit de vote.

Je me suis rendue en Floride où le mouvement des Dream Defenders réclamait justice pour Trayvon Martin, qui me semblait être un équivalent moderne du jeune Emmett Till (torturé et tué par des Blancs au Mississipi en août 1955).

J’ai défilé avec l’Ohio Students Association, qui réclamait justice pour les victimes de la brutalité policière.

J’ai vu avec horreur des Afro-américain.e.s se faire asperger de gaz lacrymogène dans leurs propres quartiers de Ferguson, au Missouri. «Ça me rappelle le Klan», m’a dit ma grand-mère alors que nous regardions ensemble les nouvelles à la télé. Jeune fille noire en Caroline du Sud, elle avait vu le Ku Klux Klan arracher son voisin de chez lui et le battre brutalement parce que, médecin noir, il avait traité une femme blanche.

J’ai rendu visite aux résident.e.s Noir.e.s de West Baltimore, au Maryland, qui, en raison d’un couvre-feu, devaient présenter des documents de travail à la police pour pouvoir entrer et sortir de leur propre quartier. «Ce sont mes papiers de liberté à montrer aux chasseurs d’esclaves», m’a dit une amie avec un sourire ironique.

Et maintenant j’assiste, depuis six jours, à des attaques à la bombe incendiaire contre cinq églises noires du Sud, y compris à Charlotte, Caroline du Nord, où je fais un travail d’organisatrice aux côtés d’autres membres de la communauté qui luttent pour créer plus d’autonomie et d’autonomisation politique dans les quartiers à faible revenu .

Pendant trop longtemps, la suprématie blanche a dominé la politique états-unienne, entraînant la création de lois racistes et de pratiques culturelles visant à assujettir les non-Blanc.he.s. Et le drapeau confédéré, dans toutes ses manifestations, a longtemps été la bannière la plus reconnaissable de cette idéologie politique. C’est la bannière de l’intimidation raciale et de la peur, et sa popularité connaît un regain chaque fois que des Américains noirs semblent faire des gains économiques ou politiques dans notre pays.

C’est un rappel de la façon dont, depuis des siècles, le statu quo a été sous-tendu par la violence raciste des Blancs, avec l’approbation tacite de trop nombreux dirigeants politiques.

La nuit du Massacre de Charleston, ma foi était en crise. Les personnes qui s’étaient réunies pour étudier la Bible à l’église Emmanuel AME cette nuit-là – Cynthia Marie Graham Hurd, Susie Jackson, Ethel Lee Lance, Depayne Middleton-Doctor, Tywanza Sanders, Daniel Simmons, Sharonda Coleman-Singleton, Myra Thompson et la révérende Clementa Pinckney (qu’illes reposent en paix) – ne faisaient que ce que les Chrétiens sont appelés à faire quand quiconque frappe à la porte de l’église : les inviter à la communion et au culte.

Le jour après ce massacre, on m’a demandé ce qu’était la prochaine étape était et j’ai répondu que je ne le savais pas. Nous avons déjà vécu cela et nous y voici à nouveau : des Noir.e.s tué.e.s pour le simple fait d’être Noir.e.s; une attaque contre l’église noire comme lieu de refuge spirituel et de mobilisation communautaire.

Je refuse d’être gouvernée par la peur. Comment l’Amérique peut-elle être libre et être gouvernée par la peur? Comment quiconque peut-ille l’être?

Donc, il y a quelques jours, je me suis réunie avec un petit groupe de citoyen.ne.s concerné.e.s, des Noir.e.s et des Blanc.he.s, émargeant de diverses classes sociales, croyances spirituelles, identités sexuelles et orientations sexuelles. Comme des millions d’autres en Amérique et partout dans le monde, y compris la gouverneure de la Caroline du Sud Nikki Haley, et le président Barack Obama, nous avons senti (et sentons encore) que le drapeau de combat de l’Armée confédérée, arboré en Caroline du Sud en 1962 au plus chaud du Mouvement pour les droits civiques, devait être décroché. (Bien sûr, nous ne sommes pas les premiers à exiger le retrait de ce drapeau. Des groupes de défense des droits civils de Caroline du Sud et de tout le pays réclament son enlèvement depuis le moment où il a été hissé, et je reconnais leurs efforts depuis des années pour obtenir ce retrait par le biais du processus législatif.)

Nous en avons discuté et avons décidé de retirer le drapeau immédiatement, à la fois comme un acte de désobéissance civile et comme une manifestation du pouvoir qu’acquiert le peuple quand nous travaillons ensemble. La réalisation de cet acte exigeait plusieurs rôles, y compris celui de la personne qui se porterait volontaire pour escalader le mât et enlever le drapeau. Il a été décidé que ce rôle devrait aller à une femme noire et qu’un homme blanc devrait être celui qui allait l’aider à franchir la clôture comme signe que notre alliance transcendait les clivages raciaux et sexuels. Nous avons pris cette décision parce que pour nous, il ne s’agit pas simplement d’un drapeau, mais bien d’abolir l’esprit de la haine et de l’oppression sous toutes ses formes.

J’ai enlevé ce drapeau non seulement au mépris des gens qui ont asservi mes ancêtres dans le sud des États-Unis, mais aussi au mépris de l’oppression qui continue à l’égard des Noirs à l’échelle mondiale en 2015, y compris le nettoyage ethnique en cours dans la République dominicaine. Je l’ai fait en solidarité avec les étudiant.e.s sud-africain.e.s qui ont renversé une statue de Cecil Rhodes, icône de la suprématie blanche et du colonialisme. Je l’ai fait pour toutes les vaillantes Noires qui sont aux premières lignes de notre mouvement et pour toutes les fillettes Noires qui nous regardent. Je l’ai fait parce que je suis libre.

Aux gens qui pourraient me qualifier d’«agitatrice venue de l’extérieur», je vous dis que l’humanitarisme n’a pas de frontières. Je suis une citoyenne du monde. Mes prières me liguent avec les pauvres, les affligé.e.s et les opprimé.e.s partout dans le monde, selon la directive de Jésus-Christ. Si cet acte de désobéissance peut aussi servir de symbole au bénéfice des luttes d’autres gens contre l’oppression ou de symbole d’une victoire sur la peur et la haine, alors je sais d’autant plus que j’ai fait le bon choix.

Même si il y avait des frontières à mon sentiment d’empathie, ces frontières incluraient certainement la Caroline du Sud. Plusieurs de mes ancêtres africains sont entrés sur ce continent en passant par le marché aux esclaves de Charleston. Leur labeur non rémunéré a apporté la richesse à l’Amérique par le biais des plantations de la Caroline. Je suis descendante des personnes qui ont survécu à l’oppression raciale alors même qu’elles bâtissaient ce pays: Mon quatrième arrière-grand-père, au moment de sa mise aux enchères en Caroline du Sud, a refusé d’être vendu sans sa femme et leur nouvelle-née; ce bébé, ma troisième arrière-grand-mère, a été 27 ans esclave dans une plantation à Rembert, en Caroline du Sud, où elle a prié chaque jour pour que ses enfants voient la liberté; son mari, mon troisième arrière-grand-père, un esclave laboureur dans cette même plantation, a fondé une église à la veille de la Guerre civile, qui est encore sur pied à ce jour; il et elle ont appelé leur fils, mon arrière-grand-père, « Free Baby » parce qu’il fut leur premier enfant né libre, tout cela en Caroline du Sud.

Vous voyez, je connais mon histoire et mon héritage. La Confédération est ni le seul héritage du sud, ni une tradition admirable. L’héritage du Sud que j’embrasse est l’héritage d’un peuple invaincu par l’oppression raciale. Il comprend des figures imposantes du mouvement des droits civiques comme Ida B. Wells, Martin Luther King, Jr., Fannie Lou Hamer, Rosa Parks, Medgar Evers et Ella Baker. Il comprend les nombreuses personnes dont parlent rarement les livres d’histoire, mais sans lesquelles il n’existe pas de mouvement. Il comprend des piliers de la communauté, comme la révérende Clementa Pinckney et l’église Emmanuel AME.

L’histoire du Sud est également à bien des égards complexe et pleine de vérités qui dérangent. Mais pour avancer vers l’avenir, nous devons compter avec le passé. Voilà pourquoi je félicite les gens comme le sénateur Thurmond Paul pour avoir eu le courage de dire la vérité en ce moment.

Les mots ne peuvent exprimer à quel point je suis touchée de voir comment l’action d’hier a inspiré tant de gens. Les œuvres d’art, les poèmes, les musiques et les mèmes créés sont tout simplement magnifiques! Je suis également profondément reconnaissante envers ceux qui ont généreusement fait don au fonds de défense établi en mon nom et à ceux qui ont offert de couvrir mes frais juridiques.

Comme vous admirez mon courage aujourd’hui, rappelez-vous s’il vous plaît qu’il ne s’agit pas, il ne s’est jamais agi et il ne devrait jamais s’agir d’une seule femme. Cette action a exigé un courage collectif, tout comme notre mouvement nécessite un courage collectif. Tout le monde qui a participé à l’élaboration de stratégies pour la cette action directe non-violente ne s’est pas porté volontaire pour être identifié dans les comptes rendus de presse, et je vais respecter leur souhait de confidentialité. Néanmoins, je suis honorée d’être au nombre des nombreux combattants et nombreuses combattantes pour la liberté, tant vivant.e.s que décédé.e.s.

Je ne perçois aucune cause morale supérieure à la libération, l’égalité et la justice pour toutes les créatures de Dieu. Quelle meilleure raison de risquer votre propre liberté que de se battre pour la liberté des autres? Voilà le courage moral dont a fait preuve hier James Ian Tyson qui m’a aidée à franchir cette clôture et a monté la garde le temps de mon escalade. L’histoire se souviendra de lui à juste titre, aux côtés des nombreux et nombreuses allié.e.s blanc.he.s qui, au fil des siècles, ont risqué leur propre sécurité pour la défense de la vie des Noir.e.s et au nom de l’égalité raciale.

Même si je demeure très critique du maintien de l’ordre en soi aux États-Unis, les agents de police et le personnel de l’établissement de détention que j’ai rencontré.e.s samedi ont fait preuve de professionnalisme dans leurs interactions avec moi. Je sais que certain.e.s de mes partisan.e.s à l’extérieur ont ressenti de l’inquiétude que je pourrais être lésée lors de ma garde à vue par la police, mais cela n’a pas été le cas.

Il est important de se rappeler que notre lutte ne se terminera pas avec le retrait de ce drapeau. La Confédération est une réalité sudiste, mais la suprématie blanche ne l’est pas. Notre génération a relevé le défi de livrer des batailles que beaucoup d’entre nous croyaient gagnées depuis longtemps. Nous devons nous battre aujourd’hui avec toute notre vigueur afin que nos petits-enfants n’aient pas encore à livrer ces batailles 50 ans plus tard. Les vies des Noir.e.s comptent. Ce principe est non-négociable.

Je vous encourage tous et toutes à comprendre l’histoire, à reconnaître les problèmes qui perdurent et à prendre des mesures pour démontrer au monde que le statu quo est inacceptable. Les derniers jours m’ont confirmé que les gens comprennent l’importance de l’action directe et qu’illes sont prêt.e.s à prendre de telles mesures. Que des questions galvanisent une tendance à l’échelle nationale ou qu’elles demeurent pertinentes pour nos propres communautés, celles et ceux d’entre nous qui en sont conscient.e.s doivent poser aujourd’hui des actes de justice. Et nous devons le faire sans crainte. Les nouvelles ères exigent de nouveaux modèles de leadership. Notre mouvement en est un qui compte plusieurs leaders. Je crois en cela. Je soutiens cela. Je suis parce que nous sommes. Je suis une parmi plusieurs.

Ce moment est un appel à l’action pour nous tous et nous toutes. Tout honneur et louange à Dieu.

#TakeItDown #BlackLivesMatter #FreeBree

Original : http://bluenationreview.com/exclusive-bree-newsome-speaks-for-the-first-time-after-courageous-act-of-civil-disobedience/#ixzz3eYdQduZw
Traduction: Martin Dufresne, de la collective TRADFEM.

https://www.facebook.com/notes/martin-dufresne/bree-newsome-le-temps-est-maintenant-venu-de-faire-preuve-dun-courage-v%C3%A9ritable/10155864396435595

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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