Des Male Tears

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– He bébé, tu te rends pas compte, mais la place des hommes dans la société c’est quand même super difficile.

– Yo mon frère, on va causer un peu.

*

Une terminologie qualifie ces plaintes et récriminations, terminologie inventée par les féministes anglo-saxonnes : « les male tears » (alors, même moi qui suis une quiche en anglais j’ai saisi le truc, je te fais donc grâce de la traduction).

Quand un représentant du sexe masculin (je précise : un homme blanc cisgenre hétérosexuel de 30 à 60 ans, grosso modo) commence à dire qu’il souffre de la moindre place qui lui est accordée en tant qu’homme et que sa position est difficile, tu peux le regarder bien gentiment (n’agresse pas, même quand tu en as par-dessus la tête, ça sert à rien, sauf à t’épuiser) et lui asséner :

« Male tears, mec »

*

Parce que l’homme blanc cisgenre hétérosexuel de 30 à 60 ans est – même s’il ne l’a pas choisi – tout en haut de l’échelle de domination de notre société.

Nombreux en sont conscients, mais beaucoup sont encore dans le déni ou trouvent cela insupportable, cette vérité, parce que cela les empêche d’être dans la plainte.

Il y a 3 grandes catégories de plaintes.

  • Injonction à la virilité : un homme doit se comporter…. « en homme ». On ne pleure pas, on est un battant, on a de l’ambition, on est courageux et fort, etc.

  • Les difficultés professionnelles, dans un pays où l’hyper compétitivité ainsi qu’un certain immobilisme laissent énormément de gens sur le carreau de l’emploi,

  • Les plaintes de l’ordre de la séduction ou de la sexualité, parce que « aujourd’hui ça devient très compliqué de séduire les femmes, elles sont trop exigeantes », la solitude, les frustrations sexuelles, etc.

Je vais être extrêmement claire : je n’ai jamais dit qu’être un homme c’est facile. Et je n’ai jamais nié ces difficultés.

En revanche, ce qui est mis en balance, c’est qu’être une femme est encore plus difficile.

*

  • L’injonction à la féminité.

HUHUHUHUHUHUHUHUHU.

Hem, pardon.

C’est nerveux.

  • Les difficultés professionnelles. Dans un pays où le travail à temps partiel est celui des femmes, où le chômage des femmes est nettement supérieur à celui des hommes, où les salaires ont un écart de 15 à 20% à postes égaux, et où les hautes fonctions sont investies par les hommes à plus de 80%, je ne vais pas me lancer dans un cours : j’ose espérer que je n’aurai pas à subir de malhonnêteté intellectuelle de qui que ce soit. Parce que je ne crierai pas (voir plus haut), mais ça va me faire énormément fulminer.

« Oui mais attends Marie, t’es bien gentille, mais comprends le souci : qui va garder les gosses ?! »… Parce que voilà, il y a ÇA aussi.

  • La séduction et la sexualité.

« Tu sais, si tu cherches un mec, dans une soirée, ou sur internet (ou n’importe où), toi en tant que femme tu auras bien plus de chances que moi (homme blanc, etc.) de pouvoir vivre une relation SEXUELLE ».

Ok. Peut-être bien. Et encore ça reste à prouver, mais j’accepte le postulat (et après on dira que je ne fais pas d’effort…).

………. Et alors ? ………

Parce que clairement, je n’ai strictement rien contre le fait que l’on puisse chercher des partenaires de sexe pour et uniquement dans cette optique, mais encore faut-il que cela soit a minima de qualité…. Or dire : « Mets des photos de toi à poil sur le net et tu vas pécho grave », cela intéresse finalement assez peu de femmes et souvent si tel est le cas, dans des contextes ou périodes spécifiques de leur vie (je répète « chacun fait ce qu’il lui plaît », je ne porterai jamais un quelconque jugement de valeur sur la sexualité de qui que ce soit, je m’en fous pour tout dire, je ne fais que rapporter des faits généraux). Mais pour trouver une relation – même si elle n’est basée que sur l’attrait sexuel – un tant soit peu intéressante (quel que soit le point de vue d’où l’on se place) les choses ne semblent pas plus simples pour les femmes que pour les hommes. Et je ne parle même pas des critères liés au physique, à l’âge, à la situation socio-professionnelle, etc. Nous aurions besoin d’un tableau excel. J’ai pas envie.

Donc ok, je veux bien admettre que c’est plus facile de se faire choper à l’arrière d’une voiture pour une femme que pour un homme, si le désir nous en prend, mais comme ce n’est pas dans la très grande majorité ce qui est recherché par ces mêmes femmes, je ne peux le valider comme argument du « c’est plus simple pour vous » généraliste.

Ah oui, une dernière chose sur ce point : arrêtez définitivement de nous parler de vos « pulsions ». Franchement, passé 14 ans, ce n’est plus entendable.

*

Ma vie est assez facile.

Je suis une femme blanche de 40 ans, qui correspond à des critères sociétaux valorisés sur plein de points, j’ai un contexte familial d’ascendance et de descendance protecteur. Je suis assez haut dans l’échelle de domination sociétale (et dans ce cadre il me semble que le féminisme intersectionnel est une urgence absolue et je suis extrêmement admirative de celles qui s’y collent parce que ce chemin est bien plus ardu que le mien). Or je fais attention à ne pas faire de MGBV Tears face à des personnes bien plus dominées que je le suis ; et si cela se produit malgré moi (puisque personne n’est exempt d’égocentrisme et de Caliméro style), d’écouter ce que l’on me dit. Pour y réfléchir.

Tout simplement.

Alors Messieurs, s’il vous plaît, arrêtez de plaindre votre petit nombril en permanence, il se porte plutôt bien, et entendez un peu ce qui vous est dit.

Ce sera déjà un énorme pas vers notre égalité.

*

Texte : Marie Gloris Bardiaux-Vaïente

Dessin : James

http://mgbvfeminisme.tumblr.com

https://www.facebook.com/notesdintentionsfeministes

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

7 réflexions sur « Des Male Tears »

  1. Bonjour,

    Je me permets de réagir à cet article, je le trouve pertinent pcq nuancé. Tout de même j’aimerais développer un point:
    « En revanche, ce qui est mis en balance, c’est qu’être une femme est encore plus difficile. »

    Considérez-vous que tout homme domine toute femme ? Je trouve que vous ne parlez pas, ou du moins pas assez, de classe sociale. Une femme riche, d’après moi, sera tjs dans une position dominante vis à vis d’un homme pauvre. S’il faut faire une hiérarchie des oppressions, il me semble indispensable d’y inclure la classe sociale.

  2. À défaut, bon article. Mais si on le suit à la lettre, on n’a pas le droit de se plaindre selon notre statut social ? Je suis d’accord sur le fait que plusieurs mécanismes sociaux sont en jeu et dépendent directement ou non des actions des individus.
    Mais faut-il réellement être dans une situation de dominé total pour avoir le droit de se plaindre d’une chose, aussi infime qu’elle soit ?

  3. Merci pour cet article très instructif. On pourrait traduire « male tears » par « larmes de crocodile » en fait en français non ?

    Par contre les statistiques invoquées sur les différences de salaire hommes-femmes ne sont pas très intéressantes puisqu’elles comparent le salaire moyen de la population active féminine et celui de la population active masculine c’est dommage.

    Et « Injonction à la virilité » devient « injonction à la féminité » c’est normal ? Ou je n’ai pas compris la blague ^^ Dans tous les cas je ne comprends pas pourquoi l’injonction à la virilité ou à la féminité serait des male tears (je verrais pour « plainte de la déchéance de la virilité/féminité » mais pour « injonction » non).

  4. Intéressant.
    Si je suis le principe, s’il y a quelqu’un de plus victime que soi, nous ne devons pas nous plaindre ou émettre de remarques quant à notre situation.
    A quel niveau de l’échelle de domination a t’on le droit de s’exprimer?
    Faut il, pour reprendre vos critères, être une femme noire transgenre homosexuelle handicapée pauvre et malade pour avoir la parole? Et faire avancer le débat accessoirement.

    1. ne pas parler à la place de dominé·es
      cel ne signifie pas qu’il y a une échelle dans les dominations (« quelqu’un·e de plus victime que soi »)
      chacune à le droit de s’exprimer… en n’oubliant pas d’où elle/il parle (sa position sociale)
      et en assimilant pas sa « situation » à l’universel…
      cordialement

  5. Je réagis sur cette idée d’isoler les hommes de 30 – 60 ans, « tout en haut de l’échelle de domination de notre société », dites-vous. J’ai commencé à lire « Alpha-Mâle — Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes » de Mélanie Gourarier (Seuil 2017), qui est instructif. On y apprend : 1/ que la masculinité se trouve dans un état de crise permanente depuis sa fondation ! Sans doute est-elle instable, illégitime ?! (J’en suis convaincu) ; 2/ Que les mâles de 18/24 ans sont à vouloir se trouver entre hommes dans une masculinité rebâtie contre la domination féminine (ce qui est délirant).
    Je pense donc qu’il n’y a pas d’âge pour être un mâle dominant « dans son genre », mais que cela passe par différentes phases à surmonter (enfance, adolescence, sexualité, conjugalité, pour faire bref). Et que la « domination de notre société » est d’abord une compétition sociale mâle, dont les compétences sont principalement héritées.
    En fait, les hommes risquent d’être intolérants face à vos arguments légitimes : ils demandent à se voir en crise, en souffrance, en victime. Et leurs larmes visent sans doute à être maternés !

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