Les historiens contre la Commune

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Ce livre, dont le titre fait référence au fameux essai de Paul Lidsky, Les écrivains contre la Commune (réédité récemment par les éditions La Découverte), constitue une charge contre la célébration du 150e anniversaire de la Commune de Paris, en 2021, et la relecture historique de cet événement. Emmanuel Brandely entend dénoncer ce qu’il appelle la « nouvelle historiographie de la Commune » dont les deux principaux représentants seraient Robert Tombs et Quentin Deluermoz, respectivement auteurs de Paris, bivouac des révolutions. La Commune de 1871 (Libertalia, 2014) et de Commune(s) 1870-1871. Une traversée des mondes au XIXe siècle (Seuil, 2020). Certes, Brandely reconnaît qu’il ne s’agit pas d’un ensemble homogène, mais il n’en reste pas moins que ces deux historiens ont été parmi les plus visibles médiatiquement au cours de cette célébration et sont emblématiques d’une histoire à prétention objective qui veut en finir avec les grands récits, en général, et le récit marxiste (ou, plus exactement, une caricature de celui-ci), en particulier. Continuer à lire … « Les historiens contre la Commune »

Introduction au livre : Résistance antinazie, ouvrière et internationaliste

Avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse

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Pendant dix-huit mois, de juillet 1943 à décembre 1944, un groupe de jeunes ouvriers et ouvrières de la région nantaise publia un journal ouvrier clandestin local, Front ouvrier. Huit décennies plus tard, l’existence de ce journal ronéotypé sur quatre à six pages et diffusé sur une dizaine de grandes entreprises de Nantes et de Basse-Loire, est très largement méconue. « Organe clandestin des ouvriers de la région nantaise », Front ouvrier fut pourtant un des très rares journaux clandestins locaux qui réussit pendant près de deux ans à échapper à la répression conjointe de la Gestapo, de la police française et du patronat local. Continuer à lire … « Introduction au livre : Résistance antinazie, ouvrière et internationaliste »

Un immigré nommé Missak Manouchian

Communiqué du RAAR

Le 21 février prochain, Missak et Mélinée Manouchian entreront au Panthéon. Nous nous félicitons de cette reconnaissance, mais force est de constater qu’« en même temps » la loi Darmanin contre les migrant·es est votée avec le soutien du Rassemblement national, héritier des fascistes du XXème siècle qui envoyèrent à la mort Manouchian et ses camarades. Pour nous, c’est l’occasion de rappeler ce que furent les combats de ces immigré·es et de dire leur actualité, alors que les périls d’hier se profilent à nouveau. De parler, non seulement de Manouchian, mais aussi de ses camarades, qu’il aurait été bon d’associer dans la célébration, comme ils et elle le furent dans la mort (une pétition le réclamait d’ailleurs).

Parce qu’à prononcer leurs noms sont difficiles…
Les nazis avaient, on le sait, recherché « un effet de peur sur les passants » par la diffusion massive de l’Affiche Rouge, indiquant que le groupe Manouchian était composé d’étrangers, souvent juifs. On sait aussi que, en février 1944, moment où l’exaspération contre l’occupant montait, en même temps que se dessinait la perspective de la Libération, la manœuvre des nazis fit long feu. Continuer à lire … « Un immigré nommé Missak Manouchian »

Villers-Cotterêts : les déclarations erronées d’Emmanuel Macron

Inaugurant le 30 octobre 2023 la Cité de la langue française à Villers-Cotterêts, Emmanuel Macron a déclaré que « tous les grands discours de décolonisation [ont été] pensés, écrits et dits en français  , et il a pris l’exemple du grand révolutionnaire, Toussaint Louverture, qui a conduit la première guerre de décolonisation dans la principale colonie française de l’Ancien régime, Saint Domingue, qui deviendrait Haïti. Au nom des idées émancipatrices de la Révolution française, il a affronté l’armée envoyée par Bonaparte pour rétablir l’esclavage. 

Emmanuel Macron a affirmé par erreur qu’il avait été « émancipé par la République », alors qu’il était déjà libre en 1776 et que c’est quinze ans plus tard qu’au lendemain des débuts de la Révolution française, il a pris, en 1791, la tête de la révolution menée par les anciens esclaves pour leur liberté. 

Est-il vrai comme l’a dit Emmanuel Macron que Toussaint Louverture a pensé, écrit et s’est exprimé en français ? Dans quelles langues, en réalité, parlait-il et écrivait-il ? 

Et que vise chez le président de la République ce discours exagérant la place historique de la langue française dans notre histoire au prix d’un certain nombre d’omissions ou de distorsions des faits ? En particulier en ignorant que la République, notamment en Corse, a communiqué dans d’autres langues que le français.  Continuer à lire … « Villers-Cotterêts : les déclarations erronées d’Emmanuel Macron »

Appel pour reprendre les défilés populaires tous les 14 juillet

Peu de gens le savent aujourd’hui mais, depuis 1935, les forces progressistes syndicales, associatives et politiques de notre pays défilaient dans les rues, tous les 14 juillet en l’honneur de la Révolution française et pour défendre ses idéaux qui étaient régulièrement attaqués notamment par les Ligues d’extrême droite. Ces défilés ont été très important pendant le Front populaire et évidemment interrompus par le gouvernement de Vichy pendant l’occupation nazie. Ils ont repris après la guerre, jusqu’en 1953 ; ce jour-là, 7 manifestants (6 algériens et un français) ont été tués par la police parisienne, place de la Nation. Suite à ce massacre d’État, jamais reconnu, le gouvernement français a interdit ces manifestations du 14 juillet.

Nous pensons qu’il est devenu urgent de reprendre ces défilés populaires pour défendre les valeurs républicaines, exprimées par cette devise Liberté-Egalité-Fraternité et qui sont aujourd’hui bafouées. Continuer à lire … « Appel pour reprendre les défilés populaires tous les 14 juillet »

Manouchian n’est pas un héros de « roman national »

« Si j’ai écrit tout ce qui précède, ce ne fut pas pour tenter de faire revivre une vie trop tôt brisée. Ce que je voulais exprimer dans ce récit ? La colère, la révolte contre la misère, contre l’intolérance, le totalitarisme. J’ai voulu montrer combien la vie de Manouchian offre l’exemple d’une existence tournée vers le futur, tout empreinte de la conscience que le changement est une bonne chose, que la critique de la société est nécessaire, comme est nécessaire l’action qui doit l’accompagner. J’ai voulu répéter les mots de Manouche, lorsqu’il affirmait que l’engagement n’était en fait qu’une manière de se dégager de structures ennemies des hommes. J’ai voulu dire, j’ai voulu dire, j’ai voulu dire… Peut-être n’ai-je pas su. Peut-être que si. Mais je demeure persuadée qu’il est préférable de tenter quelque chose d’imparfait que de ne rien faire du tout. »
Mélinée Manouchian, Manouchian (Paris, Les Editeurs Français Réunis, 1974)

« Missak Manouchian, à quand la patrie reconnaissante ? ». Tel est le titre d’un appel lancé, en deux temps, dans le quotidien Libération, en janvier et février 2022. Un appel entendu au sommet de l’État puisque le président Macron va l’annoncer ce dimanche 18 juin 2023 : Missak et Mélinée Manouchian seront panthéonisés. Le texte qui suit réagit à cette initiative, qui soulève une vraie question : celle de la « reconnaissance » d’un homme, et autour de lui d’un groupe, et d’une histoire glorieuse et trop longtemps occultée – mais le fait en des termes singulièrement inadéquats : ceux de la « patrie » et du « patriotisme ». Continuer à lire … « Manouchian n’est pas un héros de « roman national » »

Pourquoi ce livre ? – Abdellah Fraygui, Abdallah Moubine, Vincent Gay : Des vies pour l’égalité. Mémoires d’ouvriers immigrés

Avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse

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Le projet de ce livre est né de rencontres lors d’une recherche de socio-histoire consacrée à la place des travailleurs immigrés dans les grèves de l’automobile des années 1980 [1]. Ces grèves se situent à un moment charnière de l’histoire de l’immigration de la seconde moitié du 20e siècle. En effet, de nombreuses usines automobiles, particulièrement en région parisienne, ont, à partir des années 1960, voire avant pour certaines, fait massivement appel à une immigration issue en grande partie des anciennes colonies françaises [2]. Ce sont les travailleurs issus de ces migrations qui ont largement assuré le développement et la croissance des entreprises automobiles pendant de nombreuses années. La fin des Trente Glorieuses, l’entrée en crise économique et surtout les plans de restructurations de l’industrie automobile modifient cette situation à la fin des années 1970. Désormais, les embauches stagnent puis diminuent, les plans de réduction d’effectifs se multiplient et le travail se transforme. Outre les travailleurs âgés, les ouvriers immigrés sont les premiers touchés par ces restructurations. Cantonnés aux postes les plus durs et les moins bien rémunérés, leurs carrières sont celles d’« OS à vie [3] » à qui l’on propose très peu de formations et d’évolutions professionnelles. Dès lors qu’il faut restructurer les entreprises, diminuer la masse salariale et se débarrasser du travail non qualifié, le verdict tombe : les ouvriers immigrés doivent quitter les usines. Les licenciements et les aides au retour dans leurs pays d’origine sont là pour les y inciter. Bien sûr, tous ne sont pas concernés par ces mesures, et bon nombre d’immigrés font leurs carrières entières là où ils ont commencé à travailler dès leur arrivée en France. C’est le cas des ouvriers qui livrent ici leurs témoignages. Continuer à lire … « Pourquoi ce livre ? – Abdellah Fraygui, Abdallah Moubine, Vincent Gay : Des vies pour l’égalité. Mémoires d’ouvriers immigrés »

La mémoire est perpétuellement menacée

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« Ce livre, qui porte sur des solidarités discrètes au passé, est porté par des solidarités discrètes au présent »
Dans son introduction générale « Prison, mémoire, solidarité », Marc André parle de victimes, de témoins, de reconnaissance, de compétition mémorielle et d’affrontement victimaires, de mémoires complexes et d’objets d’histoire, de communautés, « Cette distinction entre communautés d’expériences et communautés mémorielles (militantes ou témoignantes), et surtout leur croisement offrent la possibilité de dépasser les logiques d’affrontements identitaires et victimaires – ce que certains appellent les « guerres de mémoires » – à travers une nouvelle histoire dans laquelle les victimes de divers régimes n’on, en fait, jamais cessé de dialoguer, hier comme aujourd’hui ».
Continuer à lire … « La mémoire est perpétuellement menacée« 

Intervention de Rachel Keke à la commémoration du Vél d’hiv de Chevilly

Madame, Barbara Lorand-Pierre, première maire adjointe, Monsieur le président de la communauté Israélite de Chevilly-Larue, Chers élus,

C’est avec beaucoup d’émotion que je viens aujourd’hui me joindre à vous dans ma ville pour la commémoration des 80 ans de la rafle du Vel’ d’Hiv.

Le 16 et 17 juillet 1942 ont marqué l’horreur, mais aussi un basculement dans la politique de l’État français.

Sous le régime de Vichy, l’État français a collaboré et a livré aux Nazis 13 152 personnes juives. Il a été encore plus loin et a devancé les demandes nazies en livrant 4 115 enfants de sa propre initiative alors que cela aurait pu être évité.

Ces milliers de personnes, dont des enfants et des femmes ont été parqués pendant plusieurs jours au Vélodrome d’Hiver, transformé en prison. Elles ont ensuite été envoyées aux camps de Drancy, Beaune-la-Rolande ou Pithiviers.

Quasiment tout le monde a fini par être exterminé dans les camps de concentration d’Auschwitz. Continuer à lire … « Intervention de Rachel Keke à la commémoration du Vél d’hiv de Chevilly »

7 juin : contre le racisme et l’antisémitisme, lors du 80e anniversaire de l’étoile jaune nazie

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7 juin : rassemblons nous contre le racisme et l’antisémitisme, lors du 80e anniversaire de l’imposition de l’étoile jaune nazie.
Il y a quatre-vingts ans jour pour jour, le 7 juin 1942, le port de l’étoile jaune était imposé par les nazis aux Juifs et Juives, y compris les enfants à partir de 6ans, dans la zone qu’ils occupaient en France. Le Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes (RAAR) organise le 7 juin à Paris  un rassemblement public marquant l’anniversaire de cet acte qui ouvrait la voie à la déportation et à la Shoah.
Il se tient le 7 juin à 18h sur le Parvis des 260 enfants juifs déportés (Rue des Hospitalières Saint Gervais M° Saint Paul), dans le 4e arrondissement, au cœur d’un des quartiers où des milliers de personnes ont été contraints porter ce signe d’exclusion et de mort.
Il s’agit également de 
dénoncer les profanations de ceux et celles qui arborent des étoiles jaunes dans le cadre des manifestations anti-vax et anti-pass comparant la discrimination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale à celle des non-vaccinés contre le Covid-19 Continuer à lire … « 7 juin : contre le racisme et l’antisémitisme, lors du 80e anniversaire de l’étoile jaune nazie »

Après l’abolition de l’esclavage… l’esclavage toujours

Lundi 1er mars 1880. Discours du ministre de la Marine et des Colonies, l’amiral Jauréguiberry, au Sénat. « Des possessions, en nombre assez considérable, sont venues augmenter celles que nous avions déjà. (…) Dans toutes ces annexions, on s’est formellement engagé à respecter (…) les traditions de toutes ces tribus et, dans ces traditions, figure au premier rang, ce qu’on appelle l’esclavage, mais qui n’est, pour parler plus exactement, qu’une espèce de servage héréditaire. Les individus qui font partie de cette classe de la population constituent toute la domesticité, tous les ouvriers, laboureurs compris. » De « vifs applaudissements », venus de « tous les bancs » de la haute assemblée, saluent ces propos. Précieuse indication. Elle révèle une adhésion enthousiaste des sénateurs à la politique coloniale qui vient d’être défendue et à ses conséquences particulières : le maintien l’esclavage domestique. Continuer à lire … « Après l’abolition de l’esclavage… l’esclavage toujours »

Emmanuel Macron : le triomphe de l’histoire en miettes

« L’oubli, et je dirai même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d’une nation, et c’est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger. L’investigation historique, en effet, remet en lumière les faits de violence qui se sont passés à l’origine de toutes formations politiques… » Ernest Renan, 1882

« Il n’est jamais mauvais qu’exposé à cette histoire mémoriale-oublieuse, l’historien prenne ses livres (…). L’histoire-science peut résister à l’oubli logé dans l’histoire édifiante, l’empêcher de raconter des histoires”. » Jean-François Lyotard, 1988

8 février 2022. Soixante ans après, les « événements » survenus au métro Charonne sont qualifiés de « tragédie » par Emmanuel Macron dans le communiqué rendu public par l’Elysée.

Organisée par plusieurs partis politiques et syndicats du mouvement ouvrier pour protester contre les attentats commis par l’OAS et pour la paix en Algérie, il est rappelé que cette manifestation a été« violemment réprimée par la police »  puisque « neuf personnes ont perdu la vie » et « plusieurs centaines furent blessées ».

Un hommage est rendu à la, « mémoire des victimes et de leurs familles », est-il écrit en conclusion. Comme on pouvait s’y attendre, les dévots du président ont applaudi ce geste qui confirmerait sa volonté de « regarder l’histoire en face » et d’œuvrer sans relâche à la réconciliation des mémoires, selon les éléments de langage répétés ad nauseam en de telles circonstances. Quelques historiens empressés et intéressés se sont joints à ce chœur louangeur en saluant ce « pas en avant » longtemps attendu par celles et ceux qui militent depuis des décennies pour l’établissement de la vérité. Singulière mais classique complaisance de quelques amoureux de Clio. Contrairement à ce qu’il serait légitime d’attendre d’eux, ils semblent préférer l’éclat des ors de la République et la fréquentation des « grands » à l’entêtement de faits désormais avérés et documentés de façon précise et circonstanciée. Continuer à lire … « Emmanuel Macron : le triomphe de l’histoire en miettes »

Commémoration du 60ème anniversaire du massacre au métro Charonne (+ autres articles)

Madame, Monsieur,

Dans l’ordre chronologique des événements de 1962 dont le souvenir revient à la surface en ce début d’année du soixantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, le 8 février occupe une place particulière.

Cette date se situe à mi-chemin entre le meurtre d’Alfred Pierre Locussol, premier fonctionnaire de l’État abattu par l’OAS en métropole (Alençon, 3 janvier 1962) et l’assassinat collectif de six inspecteurs de l’Éducation nationale par l’OAS (Alger,15 mars 1962), lui-même suivi du cessez-le-feu en Algérie (19 mars 1962 à 12h00), du déclenchement par l’OAS de la sanglante bataille de Bab-el-Oued (Alger, 23-25 mars 1962) et de la fusillade de la rue d’Isly (Alger, 26 mars 1962) clôturant tragiquement une manifestation insurrectionnelle appelée par l’OAS.

Le 8 février 1962, en riposte à des attentats commis par l’OAS à Paris, une manifestation organisée par des formations politiques et syndicales de gauche et par le Mouvement de la Paix rassemble des dizaines de milliers de citoyennes et citoyens dans les rues de la capitale. Sa dislocation donne lieu à une intervention criminelle des forces de l’ordre placées sous le commandement opérationnel du préfet de police Maurice Papon : on comptera au total 9 morts à la station de métro Charonne. Continuer à lire … « Commémoration du 60ème anniversaire du massacre au métro Charonne (+ autres articles) »

17 octobre 1961 – 17 octobre 2021 60e anniversaire – Vérité et Justice

Le 17 octobre 1961, des dizaines de milliers d’Algériens manifestaient pacifiquement à Paris contre le couvre-feu discriminatoire qui leur avait été imposé par le gouvernement de l’époque dont le Premier ministre, Michel Debré, était hostile à l’indépendance de l’Algérie, et le Préfet de Police Maurice Papon sous ses ordres. Ils défendaient leur droit à l’égalité, leur droit à l’indépendance et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce jour-là, et les jours qui suivirent, des milliers de ces manifestants furent arrêtés, emprisonnés, torturés – notamment par la « force de police auxiliaire » – ou, pour nombre d’entre eux, refoulés en Algérie. Des centaines perdirent la vie, victimes d’une violence et d’une brutalité extrêmes des forces de police parisiennes. 60 ans après, la Vérité est partiellement en marche. Cependant, la France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans les guerres coloniales qu’elle a menées – en particulier la Guerre d’Algérie – non plus que dans le cortège de drames et d’horreurs qu’elles ont entraînés, comme ce crime d’État que constitue le 17 octobre 1961. Le 17 octobre 2012, le Président de la République (François Hollande) avait certes fait un premier pas important, en déclarant : « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes. » Mais le terme de crime n’est pas repris, et la responsabilité, sous entendue, n’est pas clairement définie. Nous demandons une parole claire aux autorités de la République, au moment où certains osent encore aujourd’hui continuer à parler des « bienfaits de la colonisation », à célébrer le putsch des généraux à Alger contre la République, à « honorer » les criminels de l’OAS. Continuer à lire … « 17 octobre 1961 – 17 octobre 2021 60e anniversaire – Vérité et Justice »

Postface inédite de Gilles Manceron « De nouvelles révélations » à la réédition du texte de Marcel et Paulette Péju, « Le 17 octobre des Algériens »

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Dans l’édition en 2011 du livre de Marcel et Paulette Péju qu’on vient de lire, le texte qui l’accompagne pointe les mécanismes de la « triple occultation » de ce massacre : le silence des autorités françaises, la concurrence des mémoires internes à la gauche française et la volonté du pouvoir algérien d’écarter de l’histoire officielle les luttes de l’émigration en France. Mais cette réédition en collection de poche est l’occasion de faire le point sur les avancées opérées depuis dix ans dans la connaissance de cet événement.

Des travaux et publications ont permis de repérer trois aspects importants qui avaient fait insuffisamment l’objet d’attention et sur lesquels des investigations plus approfondies sont nécessaires. D’abord le rôle moteur joué par le Premier ministre Michel Debré à l’automne 1961 dans la violence exercée contre l’immigration algérienne, dont le 17 octobre a été l’apogée. Ensuite, la nécessité de prendre en compte dans le décompte des victimes les Algériens expulsés de France, supposés dans les déclarations officielles être « retournés dans leur douar d’origine », mais en réalité internés en Algérie dans des camps militaires où la mortalité était importante. Enfin, un quatrième facteur d’oubli doit être ajouté à ceux déjà nommés de cette « triple occultation » : la tendance de nombreuses familles algériennes qui ont continué à vivre en France à hésiter à transmettre le souvenir de cet épisode à leurs enfants. Continuer à lire … « Postface inédite de Gilles Manceron « De nouvelles révélations » à la réédition du texte de Marcel et Paulette Péju, « Le 17 octobre des Algériens » »

« Craignez le réveil de la vérité »

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Préface de Geneviève Fraisse à Olympe de Gouges : Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne et autres textes

Avec l’aimable autorisation de l’autrice

« Craignez le réveil de la vérité » 
(L’entrée de Dumouriez à Bruxelles, préface, 1793)

Le XVIIème siècle énonce clairement l’égalité des sexes, plus théoriquement que les siècles précédents ; ce mot égalité revient dans la modernité comme un principe, notamment dans l’essai radical de Poulain de la Barre en 1673. Le XVIIIème siècle, à l’aube de la Révolution française, voit une femme, Olympe de Gouges, user de l’égalité comme d’une évidence. Elle ne réclame pas son droit, elle le prend et l’affirme ; et surtout elle s’en sert avant même 1789. Par-là, elle met l’égalité en pratique et inaugure ainsi la pensée concrète du droit des femmes en démocratie. Sa Déclaration, en 1791, exprime avec clarté cette rupture. La transgression ne lui a jamais fait peur. Continuer à lire … « « Craignez le réveil de la vérité » »

Ici on noya les Algériens

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Ce livre est sorti en Septembre 2021 en librairie. C’est un livre important, pour l’histoire de la France coloniale et de la décolonisation. C’est aussi un livre important pour la réflexion sur le métier d’historien et la façon de l’exercer.

Rapide rappel des faits : Le 17 octobre 1961, pendant que se déroulaient entre Français et Algériens des négociations qui devaient aboutir quelques mois plus tard à la fin de la guerre d’Algérie et à l’indépendance de ce pays, la police parisienne réprima avec une extrême violence une manifestation pacifique de civils algériens qui protestaient contre l’instauration d’un couvre-feu imposée aux seuls Maghrébins. La manifestation, les violences policières se déroulèrent en début de soirée, dans de grands axes de la capitale, devant des dizaines de milliers de témoins potentiels. Il y eut des photos prises en direct d’hommes ensanglantés, de corps inanimés allongés sur les grands boulevards. Et dans les mois qui suivirent, quelques témoignages, quelques analyses circulèrent entre les mailles de la censure, très virulente à l’époque. Mais ni grands débats politiques, ni vagues d’indignation populaires. Pas de bronca non plus dans les médias quand la Préfecture de Police de Paris annonça officiellement le chiffre de deux morts parmi les manifestants, accompagné de ce commentaire oral : Pas de quoi en faire un drame. Les Français, dans leur très grande majorité, attendaient avec impatience la fin de la guerre, le drame du 17 octobre, en pleine négociations de paix, leur semblait fâcheux et incompréhensible. Ils l’oublièrent. Riceputi raconte dans ce livre le long combat (une quinzaine d’années, de 1986 aux années 2000) d’un homme, Jean-Luc Einaudi, pour briser l’oubli et faire entrer cette date dans notre Histoire. Continuer à lire … « Ici on noya les Algériens »

Accès aux archives publiques : lettre ouverte aux parlementaires (plus : Nuit noire sur les archives)

L’arrêt du Conseil d’État du 2 juillet 2021 a déclaré illégale et annulé la procédure de déclassification des archives « secret-défense » de plus de cinquante ans.

Ces archives redeviennent donc communicables de plein droit, permettant aux historiens de reprendre leur indispensable travail sur la seconde guerre mondiale, la IVème république ou la guerre d’Algérie.

Après cette décision, il n’est pas possible de poursuivre l’examen de l’article 19 du projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement comme si de rien n’était.

La décision du Conseil d’État donne, en effet, une tout autre perspective à cet article. Nul ne peut plus nier qu’il a pour seul et unique objet d’allonger les délais actuels de communication des archives publiques et qu’il n’est pas la mise en œuvre d’une politique d’ouverture pourtant revendiquée. Continuer à lire … « Accès aux archives publiques : lettre ouverte aux parlementaires (plus : Nuit noire sur les archives) »

Encore sur la Commune

Autant d’ouvrages se partageaient-ils les étals des libraires lors du centième anniversaire de cette « révolution impromptue » pour reprendre le titre du livre que lui a consacré Roger Martelli ? Une cascade de livres de tout acabit qu’il ne sera pas possible de lire… Seul le Président de la République ne s’y est pas aventuré préférant la commémoration de Napoléon, modèle moins révolutionnaire. Continuer à lire … « Encore sur la Commune »

Il y a 77 ans : Oradour-sur-Glane. Retour sur un crime de masse

Le 10 juin 1944, la Division « Das Reich » faisait 643 victimes en anéantissant tout un village. Il s’agissait pour elle, de réduire les forces de la Résistance et de terroriser les populations, trois jours après le débarquement allié en Normandie. Michel Baury vient de conclure une enquête de plus de 10 ans sur ce massacre.

Michel Baury est ce qu’on peut appeler un « historien-citoyen ». Pourquoi ? Parce qu’il a conduit en une décennie, un considérable travail sur Oradour avec tous les instruments d’un historien professionnel : l’enquête, l’archive, l’entretien, le recueil de témoignages (un millier de personnes interrogées) (*). Continuer à lire … « Il y a 77 ans : Oradour-sur-Glane. Retour sur un crime de masse »