Un faux-vrai roman, un vrai-faux documentaire

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« Les paralysés », de Richard Krawiec, se situe dans les années 1980, années de récession profonde aux États-Unis. Les fermetures d’usine se succèdent, le chômage enfle, les subsides se raréfient – Reagan remet en cause tous les chèques de subsistance pour les plus démunis – et les quartiers populaires se dégradent. La drogue, l’alcool veulent faire oublier la réalité. Pire encore quand on est amputé des deux jambes, comme c’est le cas de Donjie, le héros de cette histoire. Continuer à lire … « Un faux-vrai roman, un vrai-faux documentaire »

Du coté des polars (mai 2024)

Metz, 1812
Victoire Montfort se lance dans une enquête aux résonances actuelles. Comment répandre des « fake news avant les réseaux sociaux » ? En diffusant un mensonge porté par plusieurs personnes obligeant le commissaire Albert Montfort à considérer comme suspect un innocent du crime commis sur un auxiliaire du juge pour faire éclater un trafic de contrebande dans le contexte du blocus du commerce avec la Grande-Bretagne décidé par Napoléon.
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Du coté des polars (avril 2024)

Gênes, ville noire
Antonio Paolacci & Paola Ronco ont décidé de faire de Gênes un personnage de polar pour conter les enquêtes de Paolo Nigra, tout autant Génois d’adoption que les deux auteurs. Le premier, « Nuages baroques », dévoilait une manière particulière de se servir des grands ancêtres du genre agrémentée de la visite des quartiers de Gênes sonnaient comme un vent nouveau. L’ironie de Nigra, homosexuel revendiqué, permettait de faire accepter des personnages par trop stéréotypés notamment ses acolytes de la police.
« Le point de vue de Dieu » tire les mêmes ficelles, avec une intrigue réduite au minimum. Pas besoin d’avoir lu Conan Doyle ou Agatha Christie pour savoir qui a tué. Le comment ne pose pas vraiment de problème même si le pourquoi un peu plus sophistiqué. La fin, digne d’un Hercule Poirot décadent, est décevante. La réunion de tous les protagonistes non seulement n’est pas réaliste mais est téléphonée.
L’amour de Nigra pour Rocco est compliqué et l’insistance sur ces difficultés – réelles – occupe une place disproportionnée. Par contre la visite du centre ville de Gênes est toujours un enchantement.
Les auteurs devraient changer leur référentiel pour aller vers d’autres influences, comme Hammett ou Chandler, parler de corruption, de mafia en donnant plus d’épaisseur aux comparses de Nigra.
Découvrir Gênes reste une bonne idée, même si ce club d’amateur de polars n’est pas vraiment fréquentable.
Antonio Paolacci & Paola Ronco : Le point de vue de Dieu, traduit par Sophie Bajard, Rivages/Noir Continuer à lire … « Du coté des polars (avril 2024) »

Ces femmes-là, d’Ivy Pochoda

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Le roman d’Ivy Pochoda, Ces femmes-là, restitue admirablement la courte vie de ces héroïnes invisibles, méprisées par une société qui préfère regarder ailleurs.

Los Angeles, dans le quartier délabré de West Adams. Quinze ans après l’assassinat d’une douzaine de jeunes femmes retrouvées la gorge tranchée, asphyxiées sous un sac en plastique et abandonnées au fond d’une impasse, quatre de plus sont victimes de meurtres : des « prostituées », évidemment.

On pourrait craindre un thème rabâché, voire racoleur. Erreur. Tout le roman d’Ivy Pochoda est construit autour de l’indifférence qui entoure ces crimes. Toute son énergie d’écriture s’appuie sur la volonté de restituer la courte vie de ces héroïnes invisibles, méprisées par une société qui préfère regarder ailleurs. 

A l’inverse des habituels polars, l’autrice choisit de donner à ces jeunes filles le premier rôle. Julianna, Lecia et les autres, des gamines de 15 ou 17 ans, sont saisies sur le vif dans leurs survêts en synthétique et leurs blousons à capuche zippés. Continuer à lire … « Ces femmes-là, d’Ivy Pochoda »

Du coté du polar (mars 2024)

Le Royaume de France en 1360
Les livres d’Histoire ont longtemps parlé de la « guerre de 100 ans », manière d’écrire a posteriori pour des guerres continuelles de formation des royaumes, de dessin des frontières et de la création d’Etats centralisés que seront les monarchies absolues. En 1360, la désorganisation est totale. Les luttes internes, les intrigues, les alliances se nouent et se dénouent à la vitesse des tempêtes. L’absence d’armées officielles ouvre grand les portes aux mercenaires qui, faute d’engagements, se livrent à des destructions organisées ou sauvages au détriment de l’ensemble des populations. Continuer à lire … « Du coté du polar (mars 2024) »

Mélanger la vie propre des images et le cours des mots

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« Prendre des photographies est une responsabilité ; écrire sur elles tout autant. La pellicule, les pixels capturent un fragment de temps et d’espace, prélevé quelque part dans le monde. De nombreuses théories expliquent à quel point l’image est un signe, sa composition subjective, son contenu sujet à interprétation. Elles sont toutes exactes. Mais elles tendent à oublier que la photographie s’appuie d’abord sur de la vie : les traces de la lumière qui ricoche, ruisselle, frappe ou nimbe des objets, des visages, des vêtements ou des paysages, offrant une forme à ce qu’elle dessine. Que ce qu’elle montre n’est pas seulement une construction intellectuelle, une vue de l’esprit, mais la trace chimique d’une réalité qui fut, qui fut vraiment – et c’est peut-être pour cette raison qu’elle nous fait battre le cœur » Hélène Gestern

Des traces, des indices, des empreintes, des fragments de temps et d’espace, un endroit, des lumières, des formes, des photos, une « trace chimique d’une réalité qui fut ».

Des images et des mots, un livre, « Non seulement elles ont fixé la trace d’une maison mais, en plus, elles ont détaillé le lent processus de sa ruine,consignant à la fois les marques de la violence et celles temps ». Continuer à lire … « Mélanger la vie propre des images et le cours des mots »

La poésie, une arme de combat

La tradition bousculée pour ouvrir la porte à la modernité et à l’imagination

La poésie vient contester toutes nos certitudes pour interroger le monde, pour faire surgir, souvent avec les mots de tous les jours, des images de nos fantômes issus des mémoires réelles ou imaginées. La modernité, comme pour la musique, se fracasse sur la tradition pour lui donner de nouvelles significations. C’est le cas de Louise Glück qui se sert des figures de l’Antiquité et un peu de la tradition juive pour parler de notre présent, de ce temps suspendu devant un monde – celui du 11septembre 2001 et après – privé de valeurs communes. La Prix Nobel de littérature 2020 – la 16e femme à l’avoir obtenu – nous a quitté le 13 octobre 2023 sans être traduite en français. Marie Olivier, présente et traduit trois recueils, parmi les plus récents : L’iris sauvage, Meadowlands et Averno, en une édition bilingue pour faire apprécier le rythme des mots dans la langue originale. Continuer à lire … « La poésie, une arme de combat »

Du coté du polar (janvier 2024 – B)

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Idiot, idiot à demi
Marto Pariente, pour son premier roman paru dans la Série noire, renouvelle l’art du polar à l’heure des gadgets électroniques, de l’ADN qui parle trop et d’autres expédients pour tuer toute intrigue, objets qui ont du mal à pénétrer dans des petites bourgades apparemment bien tranquilles comme Ascuas. Tony Trinitad – référence sans doute aux westerns spaghettis de la grande époque de Cinecitta – est l’unique policier municipal dont l’emploi est périodiquement remis en cause par le maire ou un de ses adjoints et semble un peu limité, bas de plafond pour tout dire. Mais il faut se méfier et prendre le titre au pied de la lettre : « La sagesse de l’idiot » pour s’interroger. Tout est là. Les thèmes sont traditionnels dans notre monde étrange ou seul compte la richesse accumulée et peu importe les moyens, trafic de drogue, blanchiment, chantage, assassinats pour assurer son pouvoir. Les meurtres peuvent avoir d’autres causes, l’amour par exemple, la vengeance, les traumatismes d’une enfance volée… Habilement, l’auteur entremêle thèmes et raisons pour développer une histoire qui tient en haleine jusque la dernière ligne même si le retournement final a été préparé. La surprise est émoussée. Continuer à lire … « Du coté du polar (janvier 2024 – B) »

Du coté du polar (janvier 2024)

Une lecture renouvelée d’un classique
« Rien dans les manches » de William R. Burnett avait déjà été réédité en Folio, traduction de Jacques-Laurent Bost pour la Série Noire en 1952. Pourquoi une nouvelle édition dans Folio Policier ? Une redondance ? Que Nenni ! Un nouvel éclairage pour apprécier le talent de Burnett. La révision effectuée par Marie-Caroline Aubert donne une plus grande plasticité au texte et rajoute quelques scènes coupées faute de place. Marcel Duhamel imposait le respect des 128 pages maximum.
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Dix suggestions pour découvrir la littérature ukrainienne contemporaine

Anna Colin Lebedev nous propose 10 oeuvres littéraires ukrainiennes traduites en français. Au moment où vous faites vos achats de Noël, pensez à partager la littérature et les voix ukrainiennes en mettant des livres d’auteurs ukrainiens sous le sapin. C’est par eux qu’on saisira le mieux ce qu’est ce pays aujourd’hui.
Voici une petite sélection pour aider le père Noël. Non exhaustive, mais que des valeurs sûres, dans des genres littéraires très différents
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Triste tigre, de Neige Sinno

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Triste tigre, de Neige Sinno, qui a déjà eu de nombreux prix littéraires, est à la fois une œuvre littéraire passionnante et un décryptage exceptionnel sur la réalité et des conséquences d’avoir été victime d’inceste.

La narratrice a été violée par son beau-père pendant plusieurs années, au moins à partir de ses 9 ans mais probablement plus tôt, jusqu’à l’adolescence. Elle l’a dénoncé adulte – notamment pour protéger ses frère et sœurs plus jeunes en en parlant à sa mère. Fait plutôt exceptionnel, l’agresseur a admis les faits, ce qui a rendu possible sa condamnation à 9 ans de prison.

Ce qui caractérise Triste tigre, c’est la lucidité et l’honnêteté avec lesquelles Neige Sinno raconte ce qu’elle a vécu. Elle commence par la littérature, en tentant de faire le « portrait » du bourreau, et de la victime. Elle convoque Lolita de Nabokov et s’interroge sur la cécité volontaire et coupable de la société, qui réinvente et enjolive les histoires, qui renversent la culpabilité, et ont fait de Lolita une provocatrice, dont Humbert Humbert serait victime. Continuer à lire … « Triste tigre, de Neige Sinno »

Pour que le goût de la liberté me vienne, comme une saveur oubliée

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« Mon crâne
est une vaste caverne
dans laquelle s’empilent
les cavités Pour faire de la place les nouvelles cavités
écrasent les anciennes.
 »

Parcours dans le temps, avant, maintenant, plus tard, Laura Samama nous offre un cheminement poétique et un conte cruel. Qui sont donc ces personnages, l’Affreux, le Père, les Soeurs, l’Absent et les autres ? Quels espaces sont donc évoqués par ces noms : cavités, grotte ? Que signifient ces portes ? Continuer à lire … « Pour que le goût de la liberté me vienne, comme une saveur oubliée »

Adania Shibli, une voix de Palestine

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Récemment, l’écrivaine Adania Shibli devait recevoir au cours d’une cérémonie un prix littéraire à la Foire du livre de Francfort pour son roman Un détail mineur. La remise du prix a été annulée car Adania Shibli est palestinienne. 600 écrivains et éditeurs du monde entier ont protesté. En 2020, lors de la parution du roman en français, Tessa Parzenczewski avait écrit cet article. Continuer à lire … « Adania Shibli, une voix de Palestine »

Noir sur blanc, vous comprendrez peut-être alors !

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« la forme du livre à doubles couvertures inversées : une fois parvenu à la fin de la première partie, il faut retourner le livre pour poursuivre la lecture »
Dans sa préface,
Florica Couriol aborde, entre autres, la complaisance, la corporalité, la liberté, la mise en miroir des « deux expériences de la protagoniste », les mécanisme de broyage de l’individu « par les régimes totalitaires, la privation de liberté, y compris celle de disposer de son propre corps », les règles intériorisées, l’éblouissement d’une jeune fille, le mélange « de fiction, passé de légende et réalité », les absences et la présence au monde, l’Est et l’ouest, une « tentative pour échapper à l’absurdité de l’existence par la littérature »… Continuer à lire … « Noir sur blanc, vous comprendrez peut-être alors ! »

Histoire économique et monétaire romancée

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L’idée de ce roman, « La monnaie magique », provient de l’air d’un temps qui s’éloigne avec l’augmentation des taux de l’intérêt. Dans la période qui suit 2015, en réponse à la crise systémique de 2007/2008 et à la déflation, la baisse drastique des taux de l’intérêt – des taux d’intérêt négatif, une grande première dans l’histoire du capitalisme – a pu laisser croire à des financements miraculeux. La création monétaire a alimenté à la fois les Etats et la spéculation sur les marchés financiers sans pour autant se traduire par la hausse des investissements productifs. L’endettement s’est généralisé permettant des énormes profits. Continuer à lire … « Histoire économique et monétaire romancée »

Du coté du polar (octobre 2023)

Polar politique
« Les morts de Beauraing » est en prise avec les réalités déformées qui nous servent d’environnement. Un attentat a eu lieu dans cette agglomération bruxelloise. Il a visé la communauté catholique et le banc des accusé.e.s est rempli de jeunes belges attirés par le djihad. Un choc. Yves Demeulemeester et Leopold Verbist, associés dans une petite agence de presse, décident d’enquêter. Et la vision simpliste d’un ministre de l’intérieur perd de sa netteté. Se mêlent à eux, une militaire d’active, Ingrid Mertens, qui veut venger la mort de son fils adoptif pour faire imploser toutes les données et faire jaillir d’autres pistes, d’autres intérêts de groupes qui n’ont aucun respect pour la vie humaine et veulent servir Dieu, le grand diviseur de notre temps. Les responsables ne sont pas là où tout le monde regarde.
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Les livres m’emmènent ailleurs, où il y a à partager et à recevoir

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« Un trou dans le dos, de la forme d’un savon noir. Pas de sang, c’est net. Juste une béance »
« 
Un trou dans la gorge lorsqu’elle tente de le retourner, bien net, bien rond, dont ne sort aucune goutte de sang »
« 
Il tombe en arrière, sur le dos, la bouche ouverte. Non, pas ouverte, juste un trou »
« 
L’homme est figé, droit debout contre la trappe ouverte de la tourelle »

Cela commence comme un roman noir sanglant, mais l’absence de sang laisse entrevoir une autre dimension propre à la science-fiction. Continuer à lire … « Les livres m’emmènent ailleurs, où il y a à partager et à recevoir »