Dans son livre Cannibal Capitalism (Verso, mars 2022 [1]) Nancy Fraser propose de revenir sur la caractérisation du capitalisme : il ne faut pas le réduire à un système économique, mais le définir comme une société : « Parler du capitalisme comme un ordre social institutionnalisé (…) revient à souligner son imbrication non accidentelle mais structurale avec la domination de genre, la dégradation écologique, l’oppression raciale et impériale et la domination politique – en conjonction, bien entendu, avec sa dynamique de base, également structurale et non accidentelle, fondée sur l’exploitation du travail » (p.19 – 20). Cette thèse n’est pas vraiment nouvelle, elle prolonge celle défendue par certains courants féministes ; cf. le Manifeste pour les 99% dont Nancy Fraser (ci-dessous N.F.) est une des trois auteures, mais est en résonance forte avec la théorie du Capitalocène, développée par Jason Moore, Daniel Cunha et Andreas Malm [2]. À propos du livre Cannibal Capitalism Andreas Malm écrit : « Nancy Fraser a produit la théorie la plus élégante du capitalisme actuel – non pas un capitalisme au sens économique étroit, mais un capitalisme qui dévore tout, un système incapable de ne pas dévorer tout ce qui l’entoure, détruisant la vie des humains et de la nature ». Ce livre est aussi en résonance avec l’importance croissante prise par les mouvements sociaux hors économie : féminisme, contre le racisme, écologie, pour le droit au logement, etc. Dans un de ses derniers textes, Classes et mouvements sociaux, Daniel Bensaïd évoque la perspective d’une « reterritorialisation de la lutte des classes et la capacité du mouvement ouvrier à déployer son pouvoir de contestation non seulement au niveau de la production dans l’entreprise (rapport salarial), prenant en charge, dans le respect de leur autonomie, les luttes des femmes, les luttes urbaines, les luttes écologiques, comme autant de dimension nécessaire d’un projet cohérent de transformation sociale ». Le livre de N.F. marque clairement la nécessité de remettre en cause une vision centrée sur l’affrontement entre deux camps prédéfinis, le Capital et le Travail. Les luttes concernent tous les domaines de la vie, dépassant la distinction ente le quotidien et le social, entre le social et le politique, entre les moyens et les fins. Continuer à lire … « A propos de « Cannibal Capitalism » de Nancy Fraser »