Du coté du jazz (juillet 2021 -B)

Vivre le confinement à trois

1. Se nourrir du temps

Mauro Gargano, contrebassiste, a composé les thèmes de « Feed » – nourriture – pendant cette entre tout que fut l’année 2020. Éloignés les unes des autres, il fallait trouver en nous-mêmes les nourritures spirituelles pour résister à ces barrières qui se disaient sociales et n’étaient rien de moins qu’une négation de la fraternité et des mémoires, du passé comme celles de l’avenir. Un air de désagrégation. Il fallait trouver de quoi alimenter l’outre pandémie en se référant au passé sans le copier avec le risque de répéter la nouveauté.

Le trio que Gargano a forgé, Alessandro Sgobbio, pianiste qui sait investir en les digérant les compositions du bassiste et Christophe Marguet, batteur attentif et compréhensif savent croquer à belles dents la musique pour lui donner la vie en prenant appui sur le présent pour s’élancer vers le futur.

Mauro Gargano : Feed, Absilone


2. Traverser le temps

Jéricho, pianiste, Pascal Vigier, batteur et Frédérick Lemarchand, bassiste, se sont attablés, plusieurs jours de suite pas seulement pour boire mais, surtout pour exprimer l’envie d’être ensemble et faire de la musique. « Carnet de confinement » est un titre trop concis qui ne dit pas la chaleur ressentie à l’écoute de cet album. Un trio qui roule et s’enroule autour de thèmes connus – d’autres moins tout en étant aussi marqués par le swing et les mémoires de tous les trios, de Bill Evans à Herbie Hancock en passant par Wynton Kelly – pour combattre la pesanteur du confinement et exprimer une joie de vivre nécessaire, comme un fluide vital qu’il faut entendre et suivre.

Jéricho/Vigier/Lemarchand : Carnet de confinement,
contact Jéricho 0762264904


Un trio loin de celui classique en jazz

La voix d’abord, celle qui s’impose sans violence, qui s’entend au même titre que la batterie, curieuse par ce continuum rythmique qui tient autant du jazz que de la pop pour entraîner vers d’autres mondes. Puis la voix se fait plus précise, plus proche des mots, des langues. Le premier thème est une sorte de définition du groupe, « Somos Tantas », pour poursuivre en anglais sans aborder les rivages du français.

Manon Chevalier est cette voix – et compositrice -, qui se reconnaît dans l’héritage de Billie Holiday et sans doute beaucoup d’autres. Maya Cros donne, aux claviers la réplique tout en construisant, avec Ophélie Luminati, aux drums – on évitera le terme batterie -, le contexte sonore nécessaire à la voix pour donner un son de groupe spécifique. Qui ne se refuse à aucune influence, toutes les musiques, toutes les cultures sont sollicitées et elles répondent. Se reconnaissent dans les instruments électroniques l’évocation d’un sitar, d’un oud ou d’autres pour laisser accroire à une multitude. « Lioness Shape », en forme de lionne, une bonne entrée en matière que le nom du trio et « Impermanence » comme titre générique de l’album. A découvrir.

« Impermanence », Lioness Shape, Laborie Jazz, Socadisc.

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Fraternelle

La musique d’Eric Séva, qui signe cet album, « Résonances », a voulu faire référence à l’ouverture sur l’Autre, pour ouvrir un dialogue qui permet de construire des ponts entre les cultures pour en livrer des échos. Construire ses racines imaginaires, son folklore est une nécessité pour se former. Trouver dans d’autres cultures les éléments de création pour réaliser une musique ouverte sur le monde.

Le trio, « Triple Root », triple racines, pour qualifier la rencontre entre le saxophoniste – ici au ténor et au soprano – le bassiste Kevin Reveyrand et le batteur Jean-Luc Di Fraya chacun transportant sa propre terre fait de résonances différentes. Musiciens qui ont ce don pas commun de signifier la fraternité.

Eric Séva Triple Root : Résonances, Laborie Jazz, Socadisc


 Simon Denizart, pianiste et compositeur, se veut citoyen du monde. Il recueille au cours de sa vie de « Nomad » – titre de son album qui peut aussi se lire « No Mad », pas fou – croisé des cultures dont il a recueilli les échos. A notre tour nous voyageons avec lui pour découvrir des paysages étranges faits de morceaux d’un puzzle qui ne sait pas que ses pièces éparses pourraient s’emboîter. Dans quel sens faut-il lire les étapes diverses qu’il propose en compagnie – une idée originale – de Elli Miller Maboungou à la calebasse, un instrument de percussion venu du flamenco. Peut-être le sens n’existe pas, que ces étapes ne sont que le fil d’Ariane d’un musicien qui cherche ses racines, sa voie. Il se sert des structures du minimalisme qu’il enferre dans d’autres boucles, d’autres références. Lorsque le duo y arrive, le transport de l’énergie opère mais lorsqu’il se laisse envahir par ces cellules musicales, il perd le contrôle et l’ennui gagne.

Ce duo essaie des combinaisons pour éviter toute répétition. Les suivre ouvre la porte à d’autres imaginaires, d’autres façons d’entendre. Le jazz est bousculé, trituré, sorti de ses certitudes pour, malgré tout, survivre dans le balancement des notes.

Simon Denizart : Nomad, Laborie Jazz/Idol/Socadisc


Rêves réels

Un trio classique, piano, Madeleine Cazenave – et composition -, contrebasse, Sylvain Didou et batterie,Boris Louvet pour des paysages sonores qui le sont moins, du moins s’il est question de jazz. « Rouge » est le nom que le trio s’est donné pour une citation de Michel Pastoureau, historien des couleurs, « Le rouge, c’est un océan ». Le sang aussi marque de son sceau notre monde. La mort est en embuscade, partout dans ce monde dominé par la volonté de faire du profit à tout prix. Le rouge est omniprésent.

Ces trois là ont voulu distinguer la réalité qui se dissimule « Derrière les paupières », « Eyes Wide Shut », pour voir au-delà des yeux, pour aller vers des imaginaires possibles et impossibles. Les yeux grands fermés pour dessiner des contours nouveaux d’un monde à bout d’un souffle mortel.

Ils s’emparent des comptines, des chansons populaires, du jazz, de Ravel et des autres compositeurs comme Milhaud pour construire une musique originale. Là aussi le minimalisme frappe comme la musique répétitive si ces références étaient les seuls possibles. Contrebattues par une énergie vitale, ils arrivent à donner vie à ces airs étranges structurés comme un film noir.

Rouge : Derrière les paupières, Laborie jazz/Socadisc/Idol


Mélanges

« Cabane perchée », titre de l’album signé par le guitariste Csaba Palotaï et le percussionniste Steve Argüelles, fait d’abord penser à Tarzan et Jane, à leur maison dans les arbres. Pour les deux protagonistes, il s’agit surtout de s’élever pour regarder le monde en face et s’approcher des constellations musicales pour forger une nouvelle voie lactée. Bartok et Moondog sont leurs deux soubassements essentiels. Et la musique répétitive qu’ils habitent d’un « groove » – je ne trouve pas d’autre mot – remarquable. La répétition se perd dans leurs mémoires. Les transcriptions de Bartok deviennent des modèles de construction de rythmes divers.

Le duo évoque des univers qu’il brasse, emmêle de telle manière que la musique qu’il serve apparaît comme venu de nulle part, de partout autrement dit.

Une grande réussite.

Csaba Palotaï/Steve Argüelles : Cabane perchée, BMC

Nicolas Béniès

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

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