Pour commencer un livre et un texte de deux autrices présentes dans ce numéro :
Geneviève Fraisse : La suite de l’Histoire. Actrices, créatrices :
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2019/09/25/le-modele-redevenu-sujet-legalite-et-la-creation/
Deborah De Robertis : #metoo, l’émancipation par le regard :
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/08/24/
metoo-lemancipation-par-le-regard/
Je choisis de n’aborder que certains articles de ce riche numéro de la revue Théâtre public.
« Parler avec Bintou Dembélé, c’est raconter une certaine histoire du hip-hop en France, dont elle a été une des figures majeures ». Simon Hatab aborde, entre autres, les étiquettes et les catégorisations, la danse et la musique, le passage « du sens au sensible », les témoins, l’espace et le mouvement, la chorégraphie et le langage, l’importance d’« investir le champ de la parole pour ne pas laisser aux autres le soin de tordre les mots »…
Bintou Dembélé revient sur des éléments biographiques, le désir d’africanité, les liens avec la famille et la « famille que je m’étais créée dans la cité », le hip-hop, des créations, la chorégraphie, « Rendre compte de la manière dont on peut prendre son espace dans le cercle », le passage de la timidité à la rage, l’abandon du nous pour affirmer un je, l’hybridation, « Une recherche hybride, qui ne se plaçait ni dans la case hip-hop ni dans la case « contemporain » », l’esclavage, Rameau et Les Indes galantes, « L’enjeu n’était pas seulement Les Indes galantes, c’était aussi la rencontre avec ces krumpers », les gestes et les récits, la prise d’espace, « Plus on danse, plus on sent le besoin de faire ce cercle et d’être témoin de celui qui est au centre », le marronnage « à l’intérieur de ce texte et de ces mots », la périphérie, « Les périphéries sont des lieux où naissent des savoirs, des sciences, des cultures »…
« L’histoire a une suite, fabriquée par la détermination de ces dernières à être en situation d’actrices de l’Histoire, de leur histoire. C’est pourquoi j’ai choisi trois repères pour cette nouvelle scène : Décor, Action, Symbolique » (Geneviève Fraisse : La suite de l’Histoire. Actrices, créatrices)
Une philosophe de la pensée féministe, la contradiction, « Geneviève Fraisse « habite la contradiction », la travaille, l’avive plutôt que de la clore ou de la contourner », l’émancipation, « Si vous vous situez du point de vue de l’émancipation, il y aura nécessairement conflit quant à la stratégie à élaborer », la subversion, « La subversion est encore loin, la récupération est secondaire, le chemin balisant l’universel est surement très long. Continuons les lignées, singulières et collectives »… Il m’a semblé nécessaire de souligner quelques éléments précédents l’entretien, « Augmenter le problème » réalisé par Olivier Neveux. Un entretien passionnant et une invitation à (re)lire les ouvrages de l’autrice.
Geneviève Fraisse revient sur un certain nombre de ses livres. Elle discute, entre autres, du service, du consentement, de la possibilité de « l’égalité des sexes en démocratie », de l’origine du conflit « entre égalité et inégalité dans le politique », de deux querelles « la querelle pour ou contre la citoyenneté et celle pour ou contre la création artistique », du pour chacune et du pour toutes, de l’exception, « L’exception n’a d’intérêt que pour saisir comment elle peut se transformer en règle grâce à la dynamique démocratique », de colportage, d’être étrangère « à ce que j’entends », de savoir, « Le savoir est un remède, un refuge, un médicament ; le savoir est le lieu d’une possible suite de l’histoire », de lieux collectifs, d’histoire de la subversion, d’histoire et de philosophie, de littérature, « La littérature comme les images me racontent ce que les philosophes ne savent pas raconter ou, au mieux, désigne comme un embarras », de travailler « la colère qui préside au récit », du « cliché », d’émancipation et de domination, de luttes révolutionnaires « traversées par les contradictions des stratégies, comme des finalités », du domestique et des évolutions du prolétariat domestique, de théâtre et de possibilité de la catharsis, de dérèglement de l’intérieur, « C’est pourquoi je m’installe dans la tradition des philosophes pour leur rendre leur intelligibilité au lieu de les traiter en imbéciles « victimes des préjugés de leur temps » », de contraintes et de déplacement de la différence entre « gouverner » et « représenter », du geste singulier de l’artiste…
Dans d’autres textes, Geneviève Fraisse aborde l’épure des conflits, le plagiat et Fanny Raoul (avec des extraits de presse), la société des marginales, les femmes remarquables, Deborah De Robertis, le regard du corps…
De l’article de Géraldine Courbe « Les artistes ne sont pas des pionnières… comme les autres. A propos deLa Suite de l’Histoire », je souligne notamment, la lecture et la relecture de « l’Histoire traversée par une autre histoire, celle de la représentation de la différence des sexes », la force de la pensée de l’émancipation « par cette volonté de disposer librement de son corps », l’historicisation, la lignée, la filiation et la généalogie, l’invention des suites et le « sillon boueux d’une désobéissance philosophique »…
J’ai particulièrement été intéressé par les textes de Deborah De Robertis, l’inversion du mouvement du regard, le regard comme sujet de travail et de réflexion, le miroir de l’origine, « En décidant de prendre la place de cette femme, j’ai pris la liberté de redéfinir le modèle féminin et de le sortir de sa passivité pour qu’il soit à l’image des femmes d’aujourd’hui », la liberté de se situer dans l’espace « que j’ouvre », le regard posé, « c’est un regard, celui qui n’existe pas dans le tableau, celui qui n’existe pas dans l’histoire de l’art », le reflet du regard des hommes sur le sexe de toutes les femmes, la qualification d’exhibition sexuelle comme « outil de répression utilisé à des fins clairement misogynes à l’encontre des femmes », le reversement du point de vu du modèle nu, l’exposition du corps, l’objet devenu sujet, l’enjeu de la propriété intellectuelle (« Ma chatte mon copyright »), le geste plus proche de celui du peintre que de celui du modèle…
Sans oublier une question : « Au lieu de regarder mon sexe, levez les yeux et regardez autour de vous ; où sont les femmes ? »
Sommaire
Entretien avec Bintou Dembélé réalisé par Christian Biet, Simon Hatab et Marine Roussillon – Extension du domaine de la danse
Invitée Geneviève Fraisse
Entretien avec Geneviève Fraisse réalisé par Olivier Neveux : Augmenter le problème
Geneviève Fraisse : L’épure des conflits
Géraldine Gourbe : Les artistes ne sont pas des pionnières… comme les autres. À propos de La Suite de l’Histoire
Geneviève Fraisse, Fanny Raoul : Du plagiat en 1800 Le tyran comme caractère, ou la tyrannomanie comme système ?
Joëlle Gayot : Ce que je dois à Geneviève Fraisse
Extrait d’un entretien avec Franca Rame (1977) Présentation et traduction Laetitia Dumont-Lewi D’Isabelle à Récits de femmes
Rencontre entre Geneviève Fraisse et Isabelle Lafon, modérée par Cédric Enjalbert : La société des marginales
Rencontre entre Geneviève Fraisse et Mirabelle Rousseau, modérée par Olivier Neveux : Femmes remarquables
Catherine Corringer : À propos de Scum Performance
Geneviève Fraisse : L’artiste Deborah De Robertis Le regard du corps
Deborah De Robertis : Statements.Extraits des différents textes issus des performances
Miscellanées
Synthèse établie par Christian Biet et Alain Viala : Les revues de sciences humaines aujourd’hui : de sérieuses inquiétudes Propositions
Sacha Todorov : Le Nouveau Théâtre Populaire, dix ans déjà!
Stéphane Poliakov : Le Cocu magnifique, mis en scène par Meyerhold en édition numérique
Ons Trabelsi Intersections : inscrire la révolution dans une perspective internationale
Leyla-Claire Rabih : Traverses / Journal d’une recherche théâtrale
Marie Vandenbussche-Cont : En quête d’une écriture féconde pour le théâtre d’aujourd’hui Sur la trilogie d’essais de Joseph Danan
Théâtre public N°236
Juillet-septembre 2020
http://theatrepublic.fr/theatre-public-n-236-invitee-genevieve-fraisse-entretien-bintou-dembele/
Editions théâtrales, Montreuil 2020, 114 pages, 16,90 euros
Didier Epsztajn