Pour le seul motif d’être désigné-e-s juifs ou tsiganes…

Pour Henri et Irène

« Le SS-Sammmellager für Juden, établi dans la caserne Dossin à Malines, est l’antichambre de la mort. C’est le seul camp de rassemblement pour déportés raciaux en Belgique et dans le Nord de la France »

« 25 628 déportés, 24 273 Juifs et 354 Tsiganes, âgés de 39 jours à 93 ans, sont envoyés de ce lieu à Auschwitz-Birkenau ». Plus de 15 700 Juifs furent assassinés immédiatement après leur débarquement des trains.

« La dernière trace qu’ils laissent dans l’histoire est leur nom sur les Transportlisten, les listes de déportation ».

Dossin, une salle d’attente de la mort, un élément du réseau industriel d’extermination. L’auteure souligne qu’il nous faut « focaliser notre attention sur les morts », ces mort-e-s sans sépulture, gommé-e-s de l’histoire, disparu-e-s de la terre… Garder cet objectif d’extermination constamment à l’esprit est une des étapes douloureusement nécessaire à la compréhension du processus génocidaire. « Il convient de replacer inlassablement le SS-Sammellager dans sa mission de mort ».

Des déporté-e-s, des convois, des transports… Laurence Schram analyse, entre autres, l’organisation du camp de rassemblement, son inscription dans la « planification concertée de la déportation génocidaire », la structure extrêmement bien ordonnée et la petite équipe de SS et leurs auxiliaires, les maîtres du camp, les SS allemands et les SS flamands. L’auteure traite aussi des suites judiciaires après la guerre et de la non-évocation des participations au camp ou à la déportation…

Un camp, une main d’oeuvre bon marché, du personnel juif, « Comme dans d’autres camps nazis, les SS n’effectuent pas eux-mêmes les tâches quotidiennes ni les basses besognes. Cyniquement, ils font participer les victimes à leur propre destruction », les protections et les « services sexuels », l’omnipotence des SS et l’« impossible pour sauver sa peau », le bureau d’enregistrement « où les nouveaux arrivants sont triés, inscrits, identifiés, dépouillés », l’Aufnahme et le marquage par lettre (B, ML, M, Z, E), les numéros d’inscription sur la Transportliste

Il convient de lire attentivement le « travail d’enregistrement » pour saisir le rôle de la machinerie de ce réseau d’extermination. Enregistrer, classer, faire des listes, dresser des inventaires et dépouiller, « Les internés doivent aussi signer une déclaration de cession de leurs biens au profit du Reich », sans oublier les confiscations directe par les SS, les brimades et les vexations, « Le message est clair : ici, les Juifs ne sont plus des individus, mais des parasites à éliminer. C’est l’humanité même qui leur est déniée »…

L’auteure parle aussi du bureau de censure, du contrôle des colis (il ne s’agit pas seulement d’examiner mais bien aussi de piller), de la pression budgétaire, de la vie quotidienne au camp (hébergement, ateliers) de la faim et de l’abondance, du Kasino pour les SS, des maladies, de l’hygiène, des douches et des latrines, de l’infirmerie, et, de la mort…

Laurence Schram consacre un chapitre aux sévices, « expression d’un pouvoir absolu et d’arbitraire ». Elle poursuit avec les actes d’insoumission ou de résistance. L’auteure décrit aussi l’atelier des peintres, la Malesturbe, les travaux d’Irène Spicker, dont la peinture illustrant la couverture du livre, « Un sentiment d’angoisse oppressante se dégage du tableau »…

Longtemps ostracisé-e-s, « Les premières mesures visant à recenser, à ficher et à contrôler les populations tsiganes ne sont pas des inventions nazies. Elles relèvent de la politique intérieure menée par les gouvernements au moment où émerge l’idée d’Etat-nation et où sont fixées les frontières. Les autorités vont tout particulièrement s’intéresser aux tsiganes nomades, souvent soupçonnés d’être des espions ou les auteurs d’activités illégales ou criminelles » – ou l’existence d’un carnet anthropométrique pour les Tsiganes dès l’âge de 13 ans en France… abandonné en 1969 -, les populations « tsiganes » sont souvent ignorées. Si l’auteure n’utilise pas le terme Samudaripen, nom pour le génocide peu connu des Rroms par les nazis, elle analyse l’internement et la déportation de ces populations.

« Jacqueline Vadoche n’a que 35 jours au moment de son départ. Le nourrisson, comme tous les autres Tsiganes du transport Z, est admis dans le camp des familles tsiganes de Birkenau. Le Zigeunerbuch garde la trace de sa mort à la date du 1er mai 1944. Jacueline Vadoche est le plus jeune enfant déporté de la caserne Dossin »…

Les derniers chapitres sont consacré à la fin du SS-Sammmellager für Juden, à la caserne Dossin dans la « solution finale », au camp de rassemblement comme « lieux de mort, mais d’une mort différée », à Auschwitz-Birkenau où « la règle était la mort et la survie constituait l’exception », à toutes et tous ces disparu-e-s, ces mort-e-s sans voix, ces personnes à part entière que les nazis ont voulu éradiquer de la surface de la terre, « C’est dans la négation aux victimes de la qualité d’être humain que se révèle le caractère universel de la Shoah ».

Nous n’en avons ni fini avec les recherches sur les camps de rassemblements, ni avec les camps de concentrations ni avec les massacres de masse et les génocides.

« Dossin est l’antichambre de la mort. Mais elle est aussi plus que ça. C’est le lieu dans lequel il convient d’enraciner l’histoire du judéocide en Belgique et dans le Nord de la France. Car cette histoire est désincarnée et délocalisée »

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Laurence Schram : L’antichambre d’Auschwitz – Dossin

Editions Racine, Bruxelles 2017, 352 pages, 24,95 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Une réflexion sur « Pour le seul motif d’être désigné-e-s juifs ou tsiganes… »

  1. Au début des années 70, la caserne Dossin était une caserne ordinaire de l’armée belge, et j’y ai fait deux mois d’écolage militaire. J’ignorais tout de ce qui s’y était passé, car peu de chose était enseigné sur la guerre et la résistance dans notre pays, à l’époque. Nos chefs militaires se sont bien gardés d’évoquer quoi que ce soit. Je crois pourtant me souvenir avoir lu une plaque commémorative dans la caserne. Il est heureux que ce site soit devenu un lieu du souvenir. Il me reste une honte de ces deux mois passés « sans savoir ».

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