L’horreur de la chasse aux sorcières demeure omniprésente dans la culture moderne


Image tirée de la page FB « Suppressed Histories Archives »
Chasses aux sorcières : legs d’une persécution misogyne

Nous sommes les petites-filles des sorcières qu’ils n’ont pas réussi à brûler.

Samedi soir le 13 mai, au SFU Harbour Center de Vancouver, l’historienne féministe et fondatrice des Archives d’histoires supprimées, Max Dashu, a livré une puissante présentation sur les chasses aux sorcières qui ont balayé l’Europe au Moyen-âge, en exposant la raison d’être, les méthodes et les résultats de cette période de féminicide religieux et laïque. Bien qu’il soit tentant de considérer ce long spasme de misogynie meurtrière comme un incident historique isolé qui ne pourrait jamais survenir de nouveau, cela équivaudrait à ignorer que notre oppression continue à être ancrée dans le contrôle patriarcal des corps féminins. Cela passerait également sous silence les motifs de chasse aux sorcières qui résonnent encore tel un écho dans le mouvement de ressac aujourd’hui opposé à un féminisme centré sur les femmes.

Max Dashu a méthodiquement guidé son auditoire à travers des siècles d’histoire européenne, alors que des milliers de femmes ont été torturées et brûlées comme sorcières, notamment en Allemagne, aux Pays-Bas et en Espagne. Elle a parlé de villages où des massacres avaient éliminé toutes les femmes sauf deux. Les victimes comprenaient des guérisseuses, des adultères, des femmes qui avaient leur franc-parler ou des talents extraordinaires, et des femmes qui avaient simplement élevé la main pour se protéger quand des hommes les battaient. Toute femme qui défiait les attentes patriarcales devenait une cible de féminicide.

Le contexte sexué de la chasse aux sorcières est impossible à ignorer. Des jurys entièrement composés d’hommes décidaient quelles femmes allaient vivre et quelles femmes allaient mourir. Les femmes étaient enchaînées dans des positions qui tordaient leur corps dans des positions facilitant l’accès à leurs organes sexuels. Elles étaient systématiquement violées avant d’être immolées. Leurs tortionnaires utilisaient des outils spécialement conçus pour leur enlever les seins, brûler la vulve et déchirer le vagin. Ces horribles atrocités visaient à contrôler et éradiquer spécifiquement les corps féminins, et le fait que cette lecture soit aujourd’hui qualifiée de controversée démontre combien de femmes ont oublié, ou n’ont jamais appris, les leçons de l’hystoire (herstory).

L’oratrice a longuement décrit les manières dont les procès de sorcellerie ont façonné la société. Les hommes étaient considérés comme les autorités concernant la réalité et la vérité, et cette autorité masculine est devenue institutionnalisée. La torture de la femme demeure sexualisée de nos jours. Et, pendant des siècles, les femmes ont élevé leurs filles à être silencieuses, obéissantes, toujours sur leurs gardes, et à se confiner à la sphère privée tout en disparaissant de la sphère publique. C’est ainsi que l’on créa un précédent à l’humiliation, la punition et la censure de la parole des femmes.

Le 10 mai, Hilla Kerner de l’organisme Vancouver Rape Relief and Women’s Shelter, et Meghan Murphy ont témoigné contre le projet de loi C-16, portant sur « l’identité et l’expression du genre ». Elles étaient préoccupées par la façon dont cette loi allait permettre de démanteler des  mesures de protection des femmes reconnaissant leur sexe. Dans leurs témoignages, Kerner et Murphy ont rappelé à un comité majoritairement composé d’hommes que, sous le patriarcat, le genre existe comme outil de renforcement du pouvoir masculin et de l’assujettissement des femmes. Les deux femmes ont dûment situé l’oppression des femmes dans le contrôle patriarcal de nos corps féminins, une analyse ayant nourri le féminisme et suscité la création de centres de crise anti-viol, du congé de maternité et des mesures juridiques contre les agressions sexuelles et les viols conjugaux. Par contre, de nos jours, il suffit de faire le lien entre la biologie féminine et le sexisme pour être accusées de tenir un discours haineux et pour déclencher les dynamiques de culpabilisation, de sanction et de censure des femmes qui imprègnent la société depuis les chasses aux sorcières. C’est une chasse aux sorcières moderne aux objectifs par trop familiers : nous maintenir tranquilles, effacées et obéissantes.

Comme exemple de cette chasse aux sorcières, le journaliste-amiral de la Canadian Broadcasting Corporation, Neil MacDonald, vient de réagir en éditorial au témoignage nuancé et bien étayé de Kerner et Murphy. Son billet caricature leur témoignage, démontre que Macdonald ne comprend pas les principes fondamentaux qui sous-tendent l’oppression des femmes – y compris le genre et la socialisation sexiste. Il calomnie celles qui le font en les qualifiant de « paranoïaques et grossières ». Et, de façon incroyable, il va jusqu’à utiliser l’insulte misogyne de TERF, dirigée contre nous les femmes qui reconnaissons un lien entre notre oppression et notre biologie, affirmons que nous formons une classe politique avec des intérêts définis et communs, et comprenons que la féminité est une réalité matérielle, plutôt qu’une simple idée ou émotion.

Après avoir rappelé le sens des chasses aux sorcières comme campagne délibérée et systémique pour faire taire les femmes et assurer notre obéissance par la peur, Max Dashu a conclu sa présentation sur une note inspirante et déterminée. Présentant à l’auditoire des exemples de sociétés et de cultures matrilinéaires qui respectaient et vénéraient le pouvoir des femmes, elle nous a demandé de tirer une force de notre hystoire partagée et d’utiliser cette force pour continuer à résister. Nous sommes les petites-filles des sorcières qu’ils n’ont pas réussi à brûler, et aujourd’hui, les jurys que nous implorons de reconnaître notre réalité matérielle et nos droits comme êtres humains siègent au Sénat canadien.

Parlez, mes sœurs. Soyez sans peur, et ne laissez pas les salauds vous détruire.

Jindi Mehat, le 15 mai 2017, sur le blogue Feminist Current

Version originale : 

http://www.feministcurrent.com/2017/05/15/horror-witch-hunts-remains-ever-present-modern-culture/

Traduction : TRADFEM, avec l’accord de l’autrice.

https://tradfem.wordpress.com/2017/05/20/lhorreur-de-la-chasse-aux-sorcieres-demeure-omnipresente-dans-la-culture-moderne/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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