Le libre choix en matière de prostitution : Ce serait bien de l’avoir !

Les choix se produisent rarement dans le vide. La façon postmoderne de penser que tout est relatif et valable, dépendamment du point de vue de chacun.e me préoccupe beaucoup. Comme tout le monde, je vis avec des contradictions et des paradoxes dans ce que je pense et ce que je ressens. Mais je ne voudrais pas laisser les lois être ambivalentes, et surtout, je n’abandonnerais la loi aux mains de ceux qu’elle affecte le moins. Mes expériences des systèmes de prostitution totalement dépénalisée, légale et illégale, sont constamment citées comme autant d’éléments anecdotiques et rejetés sans plus. Si mes expériences n’étaient que celles d’une minorité de femmes, ce serait compréhensible, mais elles ne le sont pas. Mes expériences reflètent, à divers degrés de cruauté, de torture et de circonstances coercitives, le vécu de la majorité des femmes actuellement et anciennement prostituées.

Étant donné l’omniprésence médiatique du slogan « les droits des travailleurs du sexe sont des droits humains », il est compréhensible que beaucoup de personnes extérieures à l’industrie du sexe se retrouvent piégées à défendre la prostitution comme un travail aussi viable qu’un autre. Des expressions biaisées comme « le travail du sexe » ont bénéficié d’une diffusion massive. Une campagne très efficace, menée par des proxénètes et des prostitueurs (acheteurs) et nourrie par la vague « solidarité » d’un grand public non informé, prête une dignité inexistante à un commerce d’êtres humains qui demeure, intrinsèquement, une cruelle exploitation. Pour chaque cri d’un ou d’une « travailleuse du sexe » affirmant que c’est la « stigmatisation sociale » qui la menace, il existe au moins 89 femmes qui crient pour échapper à cette industrie.

Le cri de la « travailleuse du sexe » est jugé crédible : on la dit courageuse, hardie, audacieuse, « autonomisée » et débordant d’« agencéité », même si, paradoxalement, elle est aussi présentée comme une travailleuse qui a besoin d’un soutien syndical pour la protéger contre les fanatiques religieux, les prudes et, détail révélateur, les prostitueurs dangereux. Elle est soit une héroïne de la classe ouvrière, soit une escorte à 600 $ l’heure. Elle est soit une victime brisée ou fière aux yeux des féministes, ou des antiféministes, soit une militante ouvrière qui combat le déni social d’un droit fondamental de gagner sa vie, soit tellement au-dessus de quiconque qu’elle fait partie de l’élite entrepreneuriale.

Dans un autre étrange renversement de perspective, on décrit les règlements de santé et de sécurité au travail comme oppressifs à son égard. Les contrôles obligatoires d’infections sexuellement transmises (IST) seraient « stigmatisants », sous prétexte que les « travailleuses du sexe » sont dites bien informées au sujet des IST, mieux que la population générale, en fait. Pourtant, les directives de santé diffusées par l’industrie elle-même nous enjoignent d’inspecter chaque pénis pour des IST, comme si le VIH était visible à l’œil nu, et comme si exiger cela d’un prostitueur n’était pas dangereux. Les directives adressées aux « travailleuses du sexe » comprennent également des conseils utiles comme « si un client est ivre ou dangereux, essayez de vous échapper par la fenêtre ». Le burnout (aussi connu sous le nom de SSPT, ou syndrome de stress post-traumatique) peut être traité, nous dit-on, en « mangeant du gâteau au chocolat, ou prenant un bain et une pause ». Si une attaque se produit dans un véhicule, il faudrait y laisser des traces comme éléments de preuve, du vomi par exemple. Pourtant on continue à prétendre que c’est la stigmatisation qui blesse les femmes dans l’industrie du sexe, et non les hommes. Les femmes qui sont dans l’industrie sont averties que celles d’entre nous qui tentons de faire instaurer des stratégies de sortie du milieu, des ressources financières et des services conseils, à l’instar du modèle suédois/nordique, sont des empêcheuses de tourner en rond (« tu n’a pas besoin de ce genre de négativité dans ta vie, chérie »). Les victimes de viol se font dire de relever la tête (à moins que leur témoignage ne serve un objectif politique) et les femmes qui contractent le VIH dans l’industrie du sexe sont expulsées comme des parias, sans la moindre compensation. Joli syndicat, hein ?

Cette « travailleuse du sexe stigmatisée » s’affiche publiquement comme « pute » et « salope » sous son parapluie rouge et elle fait la gueule à celles d’entre nous qui refusons de nous rallier à ces étiquettes colonisatrices. On nous traite de « putophobes ». Les victimes et les survivantes de la prostitution sont qualifiées de femmes haineuses. Des personnes souffrant de stress post-traumatique, avec des blessures physiques et presque aucune possibilité d’emploi en raison d’un handicap, sont dénoncées comme « égoïstes, coincées, méprisables et non féministes ». Les victimes sont dépeintes comme des monstres qui veulent gâcher la fête pour le reste des femmes. Au mieux, nous sommes informées que nous nous y prenons mal, que nous manquons simplement d’« empowerment ». Je ne peux pas compter le nombre de fois où l’on m’a lancé l’accusation quelque peu narcissique « Vous essayez de me sauver ! Je n’ai pas besoin d’être sauvée ! », comme si d’une certaine manière je me préoccupais plus, fascinée, de la vie personnelle d’une personne particulière, plutôt que des millions de femmes qui ne veulent pas être soumises à l’horreur absolue.

Mon message à ces personnes est : Non, je ne pense pas à vous à ce point; par contre, je pense beaucoup à l’impact d’une dépénalisation complète de la prostitution sur la majorité des femmes, celles qui ne souhaitent pas être là. Il est certain que si vous aviez besoin de nourriture et d’un abri, je vous aiderais, mais pour ce qui est de réclamer une réforme légale dont il est prouvé – au-delà de toute spéculation, mensonge ou vision biaisée : ce sont des faits – qu’elle va multiplier l’esclavage sexuel de la majorité des femmes, non, je ne vais pas vous soutenir dans ce projet.

De toute façon, pourquoi m’évertuer à contrer cette minorité de « travailleuses du sexe » ? Ce sont les hommes qui nous font tout cela, et les hommes qui achètent des femmes pour les baiser haïssent les femmes. Ne soyez pas dupes, ce droit qu’ils s’accordent est l’indice d’une réalité implicite : les hommes considèrent qu’ils ont le droit d’utiliser notre corps. Leur mépris est implicite dans cette conviction et dans la loi. Ils n’ont pas à nous agresser physiquement pour le prouver – même s’ils le font souvent. Les hommes qui s’échangent des blagues ricaneuses à notre sujet ne sont pas de « chic types » : ils se vantent ou ils se plaignent. Ils mentent aussi beaucoup, et disent des choses comme « Je n’ai pas besoin d’aller aux putes. Je peux me trouver une femme, je n’ai pas besoin de payer ! » (Charmant…). Ils nous évaluent sur les sites de médias sociaux en nous cotant sur une échelle de 1 à 10. Ils se plaignent de nos seins et célèbrent nos fesses. Ils étalent leur fureur s’ils ont le sentiment d’avoir été dupés : « Elle n’était pas aussi jeune qu’elle le prétendait ! Je l’ai baisée quand même mais je n’en ai pas eu pour mon argent. Acheteurs, méfiez-vous. » « Elle n’a pas eu l’air de prendre son pied, et je lui ai fourgué trop d’argent. » Et on parle de respect…

Dans cette mesure, la stigmatisation est bel et bien une réalité, mais regardez qui en sont les auteurs…

Et puis il y a les hommes handicapés – oh, la magnanimité de celles qui sont payées pour donner du sexe à ces hommes… Même leurs parents semblent désespérés de s’assurer que leurs garçons ne soient pas privés de l’occasion d’exploiter sexuellement des femmes, tout comme le font les hommes valides. Aucune considération cependant pour le handicap créé chez les femmes qui sont achetées pour le sexe par des hommes, valides ou non. Devinez quoi, les hommes handicapés peuvent être des trouducs aussi égocentriques et misogynes que les hommes valides. Arrêtez cette putain de discrimination ! Tout ce dont nous avons besoin est d’un film de propagande comme « Scarlet Road », avec Rachel Wotton (« assistante sexuelle » pour personnes handicapées, dieu la bénisse), pour croire que son choix est digne et pour fermer les yeux sur ce que la décriminalisation complète impose au reste d’entre nous. Les droits des hommes pèsent-ils plus lourd que ceux des femmes ? Évidemment que oui. Est-ce que le choix de Rachel Wotton pèse plus lourd que les intérêts de la majorité des femmes, qui veulent quitter l’industrie ? Évidemment que oui. Vous pouvez trouver ce documentaire en ligne ; vérifiez vous-même s’il ne vous tire pas une larme. Si Wotton ne vous semble pas être une des personnes les plus aimables et les plus intelligentes que vous ayez jamais vues, je mangerai mon chapeau. Et alors ?! On s’en fout ! Une fois que vous aurez rangé votre mouchoir baigné de larmes douces-amères, réchauffées par votre bon coeur,  prenez un moment pour considérer que la pleine décriminalisation ne sert toujours pas la majorité des femmes prostituées. Vous pouvez également consulter des articles écrits par des femmes handicapées qui s’objectent à être traitées et décrites comme des parias sexuelles, et qui ont été victimes des violences sexuelles de prédateurs, aussi bien handicapés que valides.

Et que dire des militaires qui achètent des femmes dans les pays qu’ils occupent, les femmes de pays déchirés par la guerre, qui s’accrochent du mieux qu’elles peuvent à la vie pour soutenir leurs enfants pendant que des fusils tonnent et que des missiles explosent autour d’elles ? Ou des soldats qui reviennent de ces pays, avec ou sans SSPT, et qui se sentent en droit à un peu de soulagement des horreurs qu’ils ont vues ou infligées eux-mêmes ? Le fait que les prostituées souffrent de SSPT aussi souvent que les anciens combattants et les survivant.e.s de la torture n’est pas impensable : c’est la vérité.

Et puis, il y a les prétextes que se donnent tous les hommes qui achètent des femmes : « Ben quoi, elle est là non ? Elle a souri ! Elle m’a encouragé ! » Petite nouvelle pour vous : c’est dans sa définition de tâche !

En réponse aux objections à la politique d’Amnesty International sur le « travail du sexe », qui recommande que soient dépénalisés le proxénétisme et l’achat de sexe, Ken Roth, directeur général de Human Rights Watch, a tweeté « Pourquoi refuser aux femmes pauvres le droit de gagner leur vie ? » Il est difficile de mettre en mots à quel point cette déclaration est nocive. Il aurait pu aussi bien lancer « Pourquoi nier aux hommes le droit d’acheter sexuellement des femmes appauvries ? ».

On connaît maintenant les faits sur qui achète et sur qui est vendu. Les acheteurs sont très majoritairement dans la quarantaine, mariés avec enfants et bénéficiant d’un revenu assuré. Les personnes prostituées sont majoritairement jeunes, souvent entrées dans le commerce du sexe avant l’âge légal du consentement sexuel, majoritairement indigènes, et pauvres. Oui, on nous présente des femmes plus âgées pour nous raconter leurs anecdotes d’autonomisation – mais ne perdez jamais de vue qu’au moins 89 autres femmes sont réduites au silence derrière chacune d’elles. Il n’y a pas de sécurité dans une prostitution totalement dépénalisée, mais il existe des preuves accablantes que cette politique multiplie le commerce du sexe jusqu’au quadruple lorsqu’elle est mise en œuvre.

Dépénaliser les personnes prostituées supprime à juste titre le fardeau de la criminalité qui pèse actuellement sur les personnes les plus marginalisées. Mais criminaliser les acheteurs et les proxénètes place la stigmatisation et le fardeau de la loi exactement où ils devraient être. Sur ceux qui cherchent à exploiter sexuellement et à tirer profit de l’assujettissement des femmes, des enfants et de certains hommes, dans le monde entier. Ce principe est la facette clé du modèle nordique / suédois.

Les lobbyistes du parapluie rouge, qui revendiquent à hauts cris des droits pour les « travailleurs du sexe », occupent souvent des postes de direction et ont donc un intérêt direct dans le maintien et l’expansion de l’industrie du sexe. La minorité d’opposantes au modèle nordique qui vendent réellement des actes sexuels ont beau être très minoritaires, elles se font entendre par-dessus et au détriment de presque toutes les autres femmes prostituées. Il existe actuellement des femmes vivant sous des régimes de prostitution totalement dépénalisée (la Nouvelle-Zélande en est un exemple) qui veulent le modèle nordique mais leurs voix ne sont pas entendues.

J’ai déjà été une de ces avocates du « choix personnel », tentant désespérément d’assigner le blâme des cicatrices psychiques avec lesquelles je vis sur une quelconque stigmatisation extérieure au milieu, tentant désespérément de blâmer n’importe qui sauf les hommes qui exigent des êtres humains pour leur satisfaction sexuelle. J’étais inconsciente du fait que chaque fois que je me servais du mantra « C’est mon choix », j’appuyais un système de tolérance de la torture sexuelle. Ce refus de remettre en question le droit des hommes de m’acheter et celui des proxénètes d’agir en entremetteurs avait pour effet de trahir des millions de femmes. Si je l’avais su, je me serais battue à l’époque pour le modèle nordique. J’aurais profité de son soutien pour quitter l’industrie, mais je ne savais pas qu’il existait une solution de rechange – et il n’y en avait pas à l’époque. Quel choix avais-je quand il n’existait pas d’autre option ? Je ne brandissais pas de parapluies rouges, je n’avais pas la grossièreté de prétendre que mes droits étaient plus importants que ceux de la majorité, mais j’acceptais le statu quo – l’idée que la prostitution était le plus vieux métier et inévitable. Je me dispense de cette critique parce que j’ai été la victime, mais comment pourrais-je excuser les dirigeants de Human Rights Watch ou d’Amnesty International, ou les innombrables organisations et médias qui claironnent la cause des clients et des proxénètes ? J’en suis incapable. J’ai eu de la chance, je m’en suis tirée, j’ai regardé ce concept flou de « choix » et j’en ai compris les limites. Quand je me suis échappée, je me suis littéralement échappée, sans le moindre soutien du lobby du parapluie rouge (seulement des sifflements, des huées et des exclamations sur la perte de « mes droits »). Pas de soutien du gouvernement, non plus. Pourquoi un gouvernement offrirait-il des services d’aide pour quitter un « travail » légal et légitime ? Demandez aux propagandistes de l’industrie du sexe : ce sont elles et eux qui n’en démordent pas de leur défense d’un « métier comme un autre ».

C’est très simple : si l’entière dépénalisation rendait la prostitution plus sûre, je serais tout à fait pour. Mais elle ne le fait pas. Elle perpétue, sans la moindre excuse, un cycle sans cesse croissant de violence et d’encore plus de violence. Je réclame mieux que cela pour toutes les femmes. Et je ne suis pas la seule.

Simone Watson, 16 janvier 2016

Version originale :

https://sim345.wordpress.com/2016/01/16/prostitution-choice-be-nice-if-we-had-it/

Traduit par TRADFEM

https://tradfem.wordpress.com/2016/09/25/le-libre-choix-en-matiere-de-prostitution-ce-serait-bien-de-lavoir/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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